British Museum : une leçon d’expérience client
Khaled : bonjour Angel, tu es le « Front of House Manager » du British Museum à Londres où tu as commencé de travailler comme « Visitor assistant » dans les années 2000 lorsque tu t’es installé en Angleterre. Tu as ensuite gravi les échelons jusqu’à devenir aujourd’hui responsable de l’accueil des visiteurs. A l’origine, tu es diplômé de l’université de Léon en Espagne où tu as suivi un cursus en histoire. Tu nous expliquais que travailler au British Museum t’avait permis de ne pas te cantonner aux simples considérations académiques mais d’explorer plus largement les problématiques concrètes que pose la gestion quotidienne d’un établissement culturel de renommée internationale. J’imagine qu’à l’instar du Musée de la chasse et de la nature que nous interviewions récemment, vous organisez également un jeu avec le visiteur. Tu veux bien nous en dire davantage ?
« Le front of house manager d’un musée doit s’assurer que l’expérience des visiteurs est toujours optimale
Angel : dans la pratique, travailler comme front of house manager signifie coordonner une large palette d’employés dont les compétences peuvent aller de la simple vente de ticket jusqu’à l’aménagement des espaces intérieurs, l’organisation de visites privées pour les mécènes ou bien encore la mise en place des différents évènements qui se déroulent en dehors des horaires de visite. L’idée est de chaîner ces différentes compétences et de les superviser afin de toujours assurer aux visiteurs une expérience d’une qualité irréprochable.
Khaled : qu’est-ce qui fait l’originalité du British Museum ?
« Le British Museum est ni plus ni moins que le plus vieux musée du monde »
Angel : le British Museum est ni plus ni moins que le plus vieux musée du monde. Sa fondation remonte à près de 250 ans. Il s’agit à l’origine d’une petite collection privée qui est maintenant devenue l’une des institutions les plus connues dans le monde. Le musée possède certains artefacts parmi les plus rares de l’histoire de la civilisation. Le musée a également cette particularité que d’être gratuit depuis son création en 1753. Seules les expositions temporaires requièrent une participation et le montant est calculé au plus juste. Le but affiché du musée étant clairement de faire rayonner la connaissance auprès du plus grand nombre et de partager les merveilles de l’histoire du monde. Le fond est si riche que nous accueillons le simple visiteur comme l’expert académique.
Khaled : il existe certaines différences entre le British Museum et les autres musées anglais ou bien ceux du reste du monde ?
Nous possédons des artefacts irremplaçables comme la pierre de Rosette
Angel : la première réponse consisterait à dire que chaque musée est unique au regard des collections qu’il possède. Ensuite, le fait que le musée soit l’un des plus vieux au monde lui confère un statut particulier : le British Museum a longtemps été le musée de référence pour toutes les institutions qui souhaitaient réunir des collections. Enfin, certains des artefacts que nous présentons sont des clefs essentielles et irremplaçables pour comprendre le développement de la civilisation : la pierre de Rosette par exemple sans laquelle nous ne serions pas à même de lire les hiéroglyphes à l’heure actuelle et sans qui de larges pans de l’histoire impériale égyptienne nous échapperaient.
Khaled : comment faites vous pour accueillir correctement des publics avec des niveaux de connaissances très disparates ou bien des cultures très différentes ?
Un musée aujourd’hui ne peut pas juste accrocher des toiles au mur, un musée moderne doit développer une profonde connaissance de ses clients et des méthodes d’accueil
Angel : cela passe d’abord par une forte connaissance client. Pour pouvoir bien servir le public, encore faut-il le connaître. Et même lorsqu’on connaît bien les gens, la gestion des visiteurs demeure un défi quotidien : il faut s’assurer de bien accueillir des publics très divergents sous un même toit et de faciliter leur orientation vers les bons services et vers les collections. Je travaille au British Museum depuis 19 ans et j’ai pu voir comment le musée à littéralement mené une révolution en interne : nous sommes passé du simple accueil des visiteurs à des procès pointus de connaissance client afin de pouvoir servir les différents besoins. Un exemple : nous comptons pas moins de 58 nationalités au sein des 1000 employés résidents du musée et des 600 volontaires qui les épaulent. Cette richesse culturelle, par exemple, nous permet de mieux appréhender les différences de sensibilité des différents publics internationaux.
Khaled : comment faites-vous découvrir le musée ?
L’origine géographique ne dit pas forcément grand chose sur les visiteurs, il faut trouver le transversal, ce qui relie des visiteurs avec des backgrounds souvent très différents
Angel : classer les visiteurs par culture ou bien origine géographique ne ferait pas sens. Des visiteurs de pays très différents peuvent partager une même sensibilité, un même attrait pour certaines idées. Toute l’astuce consiste à trouver le transversal : ce qui réunit les gens. Comment allez-vous satisfaire d’un coté la soif de connaissance de l’autre la soif d’émerveillement par exemple. On peut d’ailleurs repérer certains archétypes : les visiteurs qui passent parce qu’il faut faire cette attraction touristique, les visiteurs récurrents, l’expert académique, le visiteur de passage ou venu pour une exposition temporaire, les passionnés d’histoire, à nous de jouer
Khaled : Quelles est la place de la technologie ?
Angel : Nous disposons d’un grand nombre d’options technologiques pour les visiteurs. Cela va de l’audioguide aux ateliers interactifs et tous les publics sont les bienvenus. Le musée a su se saisir des nouvelles opportunités qui permettent de dialoguer avec le visiteur : par exemple, le musée partage un certain nombre de ses analyses à travers des interactions multimédia ou bien encore en permettant à des experts de partager directement avec le public les résultats de leurs travaux de recherche. Mais la technologie est seulement un outil parmi d’autres : nous avons également développé des ateliers, des cours et des activités culturelles en lien avec la musique, la danse ou bien encore le cinéma afin de présenter les collections. Le plus important, ce n’est pas la technologie, c’est toujours que les visiteurs puissent faire par eux-mêmes.
Khaled : vous avez des choses qui arrivent ? Des innovations dans les cartons ? Comment faites-vous pour maintenir l’intérêt des visiteurs ?
Sur un marché du loisir en plein boom, les musées doivent se moderniser tout en ne sacrifiant pas la culture au divertissement
Angel : le musée change constamment, à court et à long terme. L’un de nos objectifs est de rendre le musée plus accessible et plus démocratisé encore. Que ce soit avec des nouvelles technologies ou bien le langage visuel que nous utilisons. Nous travaillons beaucoup là dessus. L’erreur serait de se contenter de présenter les collections telles quelles et de laisser les visiteurs les bras ballants devant. Il faut créer du dialogue entre les oeuvres et les visiteurs, instiller de multiples niveaux de lecture et d’interprétation. A la fin de la journée, il faut que le visiteur ait vécu une expérience et pas simplement une marche à pied dans des couleurs tapissés d’oeuvres. Les musées doivent se battre au sein d’une économie de loisirs, tout l’enjeu est de se démarquer sans sacrifier la culture. Et pour cela nous ne pouvons pas simplement nous reposer sur les subventions gouvernementales, une institution de notre calibre doit aussi générer ses propres revenus en développant des projets et des activités mais aussi en faisant appel au mécénat. Chaque sou gagné permet au musée de s’améliorer, d’améliorer l’expérience du visiteur et de préserver les collections comme le bâtiment.
Khaled : au-delà des autres musées ou bien des offres de loisirs assimilées, vous subissez d’autres types de concurrences ?
Un musée n’est pas démuni : lui aussi peut inventer ses propres outils technologiques. Les musées ne sont pas condamnés à prendre la poussière
Angel : après tout, on pourrait effectivement considérer que des services en ligne comme Netflix, en se positionnant sur du culturel prennent dans le même panier de visiteurs que nous. Mais d’une part, ces services ne sont pas en compétition uniquement avec les musées. D’autre part, je doute qu’ils empêchent les gens de venir au musée. Les musées ne sont pas en déclin : les visiteurs ont besoin d’un lieu, d’une interaction physique et le musée peut lui aussi se saisir de la technologie. Sur site mais aussi en ligne, nous avons par exemple un très beau site internet.
Khaled : vous faites appel à des spécialistes ou bien des sociétés extérieures pour évoluer ?
Angel : évidemment. Une telle institution ne pourrait pas fonctionner sans aide extérieure. Nous reposons sur des compétences qui vont de la restauration au design. Le musée est une véritable petite ville, nous ne pourrions pas y arriver seuls.
Khaled : est-ce que vous notez des comportements inattendus chez les visiteurs ? Des choses, qu’ils souhaitent faire et que vous n’aviez pas imaginées ?
Angel : beaucoup de comportements inattendus oui. C’est tout le plaisir de travailler avec de l’humain. Si certains visiteurs sont contents de suivre le programme organisé, d’autres ont besoin de plus que la pierre de Rosette et les momies. C’est la raison pour laquelle nous avons développé des programmes d’activités variés qui leur permettent de se dépenser en faisant des choses concrètes.