Le groupe SOS : une entreprise contre la société à deux vitesses
Olivier : Bonjour Nicolas, tu es membre du directoire et porte-parole du GROUPE SOS qui est l’une des premières entreprises sociales européenne. Tu es également le fondateur de « Mouvement UP », une communauté forte de plus de 100.000 personnes ayant pour optique de dépasser les simples constats de problèmes afin de tenter de produire des solutions concrètes. Et tu as même construit pour le groupe SOS un diplôme d’entrepreneuriat social à l’université Paris Dauphine. Tu veux bien nous en dire un peu plus sur tes activités et sur celles du groupe ?
Le travail du groupe SOS est de fournir des services de qualité tout en veillant à ce qu’ils restent accessibles
Nicolas : le groupe SOS est une entreprise d’intérêt général fondée le 4 octobre 1984, nous venons de fêter ses 35 ans. Du point de vue juridique, nous sommes une structure associative et donc à but non lucratif, qui emploie pas moins de 18.000 salariés. Nous sommes “une grosse association” mais nous sommes très loin d’être une “grosse baleine”. En réalité, nous sommes davantage organisés comme un banc de poissons. L’objectif, pour nous, est de fournir des services de qualité dans toute une série de secteurs (solidarité, jeunesse, séniors, santé, emploi, culture, transition écologique, solidarité internationale) tout en veillant à ce qu’ils restent accessibles, y compris pour les plus vulnérables.
Nous sommes une entreprise au sens où nous savons inventer des services fiables et les faire tourner
Olivier : pourquoi vous considérez-vous comme une entreprise ?
Nicolas : effectivement, nous nous considérons comme une entreprise à impact sociétal. Une entreprise crée de nouveaux services, invente de nouvelles solutions et veille à ce que son organisation et sa gestion soient efficaces. A l’origine, le groupe SOS est né en lien avec les problématiques de toxicomanie. Dans les années 80, la France avait sur ces sujets un retard épouvantable, d’autant plus grave que les problèmes de toxicomanie sont toujours des affaires complexes. Elles cumulaient plusieurs enjeux sanitaires et sociaux : dépendance aux drogues, contamination par le VIH, problèmes de logement, chômage… Quelques rares associations osaient s’attaquer aux problèmes de front mais la majorité du temps, les autres initiatives relevaient du bricolage. Or, l’improvisation ne pouvait être de mise sur ces sujets : il y avait nécessité d’innover et de bien gérer les dispositifs. Nous avons donc décidé de prendre le virage de la professionnalisation et de nous considérer comme une entreprise, c’est à dire comme une entité capable de construire des solutions fiables, qui tiennent la route. Cela nous a également permis de nettement prendre nos distances vis à vis d’associations qui ont parfois fait scandale en raison de leurs mauvaises pratiques de gestion. Et d’être réellement utiles à celles et ceux que nous prenons en charge.
Une entreprise sociale va bien plus loin que le travail sur l’exclusion, le social est inséparable de la culture par exemple
Olivier : est-ce que la notion d’entreprise “sociale” est bien comprise ?
Nicolas : dans la tête des gens, “social” signifie souvent “lutte contre les exclusions. Ce raccourci fait que le public peut parfois avoir une vision réductrice de notre action. La lutte contre les exclusions est une partie importante de notre activité, et sur tous les sujets c’est toujours pour nous une boussole. Mais en réalité, nous intervenons dans une grande variété de domaines comme la culture ou bien la transition écologique. C’est par exemple nous qui avons créé les magasins Altermundi, ambassadeurs d’une commerce éthique, nous avons également un incubateur dédié aux entrepreneurs culturels , et à Lyon nous gérons le lieu labélisé French Tech en veillant à ce que la transformation digitale qui nous touche tous soit aussi responsable. Nous sommes une entreprise d’intérêt général.
Le groupe SOS décloisonne les ehpad, nous travaillons à reconstruire du lien et de l’accessibilité
Olivier : quand vous dites que les solutions que vous proposez doivent être accessibles à tous. Tu peux me donner un exemple ?
Nicolas : oui, l’un des sujets auxquels nous nous attelons, par exemple, concerne les séniors en situation de dépendance. C’est un sujet complexe : il s’agit de vieillir de façon satisfaisante, quels que soient ses moyens, tout en étant impliqué dans la vie de l’ehpad (Établissement d’Hébergement pour Personnes âgées Dépendantes) et de la société en général. Ce n’est pas une chose simple. Nous menons pour cela des audits structurels, nous prenons l’avis des résidents, nous essayons de construire les lieux avec eux. Nous sommes bien conscients que le premier choix des séniors serait de rester chez eux mais cela ne veut pas dire que leur séjour en ehpad doit pour autant être une pure contrainte. Nous travaillons sur l’alimentation, nous avons même un programme “silver fourchette” dont le but est de pousser les chefs à se dépasser pour innover sur la nourriture à destination des plus âgés. Il s’agit de conserver le goût même si les textures ou bien les ingrédients doivent parfois être modifiés pour se plier à leurs besoins alimentaires. L’alimentation est un point clef de la vie, de la santé et du plaisir que l’on ne peut pas juste balayer sous le tapis. Mais ce n’est pas la seule initiative : nous travaillons également sur le maintien à domicile, sur comment éviter l’isolement ou bien encore sur la venue dans l’ehpad même si on n’y est pas résident. Nous faisons rentrer le territoire dans l’ehpad : on peut y venir pour d’autres raisons que le séjour. Pour manger, pour se faire couper les cheveux… Cela évite le cloisonnement, les murs autours de la maison de retraite. Les résidents continuent d’être maillés au territoire. Nous poussons le plus loin possible la mission de service public.
Notre motivation : lutter contre la société à deux vitesses
Olivier : qu’est-ce qui vous motive là dedans ?
Nicolas : le but est toujours le même. Il s’agit de lutter contre la société à deux vitesses. Nous essayons d’éviter que se creuse un fossé entre ceux qui ont de l’argent et ceux qui en ont moins. Nous croyons beaucoup à la mixité des publics. C’est notre coeur de métier depuis les années 80. Quoique nous fassions, nous regardons toujours les problèmes globalement. Nous voyons les impacts sociaux au-delà des simples problèmes techniques. Nos crèches par exemple sont mixtes : elles accueillent tout aussi bien des enfants en situation de handicap que des enfants valides. Chaque public apprend de l’autre et c’est très bien. Même choses dans nos hôpitaux : que vous ayez les moyens ou pas, vous bénéficiez du même traitement : chambre individuelle, télé pour faire passer le temps etc..
Le groupe SOS a lancé un projet pour sauver 1000 cafés en zone rurale
Olivier : un projet dont vous êtes particulièrement fiers ?
Nicolas : nous avons récemment construit un projet dont le but est de sauver 1000 cafés en zone rurale (moins de 3500 habitants) et qui a pour finalité de maintenir plusieurs services (relai Poste, accès internet, épicerie…)…) à disposition des habitants. Nous nous sommes également battus pour reprendre plusieurs hôpitaux qui allaient disparaître ce qui allait accroître la désertification médicale. Et plus généralement, nous fonctionnons un peu comme un laboratoire : nous partageons les constats de nos professionnels de terrain, nous essayons différentes solutions pour repérer celles qui fonctionnent le mieux et pour les faire connaître.
Nous sentons l’engagement citoyen croître
Olivier : des surprises ?
Nicolas : oui, les citoyens se rendent de plus en plus compte de la nécessité de s’engager et de ne plus simplement déléguer leur responsabilité à l’Etat, cela ne suffit plus. De même, beaucoup d’entreprises changent et réfléchissent à leur impact social et écologique. Nous nous trouvons donc en situation d’être leur plateforme de médiation : nous aidons les citoyens et les organisations à comprendre comment passer à l’action concrète. Les gens sont de plus en plus prêts à cela. De plus en plus de personnes entendent que l’engagement n’est pas simplement un devoir de charité mais bien un plaisir de construire ensemble. Et il y a un véritable défi pour nous à fédérer les publics autour de projets concrets et porteurs de sens afin de ne pas les laisser être submergés dans l’agressivité et les désespérances que suscitent les réseaux sociaux ou les informations souvent dramatiques. Il faut inverser la tendance. Nous avons récemment utilisé les réseaux sociaux du groupe pour proposer aux gens de parrainer un jeune en difficulté sociale ou scolaire, ou d’aider des personnes que nous accompagnons dans leur recherche de job. J’ai été surpris par le nombre important de personnes qui ont voulu apporter leur contribution. Il y a une prise de conscience. Chacun peut et doit jouer un rôle pour transformer positivement notre société.