MyPack Connect : une stratégie pour passer à une sécurité alimentaire vertueuse et concertée ?
Olivier : bonjour Antoine, tu es l’un des fondateurs de MyPack, une application mobile qui permet de vérifier la composition des produits alimentaires, cosmétiques et bébé. L’idée est de s’assurer qu’ils sont exempts de parabène, de dioxyde de titane ou encore de perturbateurs endocriniens. Tu travailles donc sur des questions brûlantes en termes de sécurité alimentaire. Est-ce que tu voudrais bien nous aider à comprendre les grands enjeux du secteur ?
« Quand on parle sécurité alimentaire, il faut comprendre que certaines négligences sont volontaires : on sait par exemple depuis des années que le dioxyde de titane est cancérigène »
Antoine : quand on parle sécurité alimentaire, on peut aujourd’hui repérer trois grands enjeux.
- En premier lieu, ces dernières années ont été entachées par différents scandales sanitaires. Il peut s’agir de négligences de production comme dans l’affaire du lait contaminé chez Lactalis mais aussi de négligences « volontaires » comme dans le cas du dioxyde de titane. Pour donner quelques éléments de compréhension au lecteur, le dioxyde de titane est un additif, un colorant qui permet d’obtenir un « blanc parfait » et que l’on retrouve à peu près partout depuis les bonbons mentholés et les chewings-gums en passant par les dentifrices, les cosmétiques, le pain de mie et les crèmes glacées. Les scientifiques savent que le dioxyde de titane est un cancérigène avéré lorsqu’il est inhalé mais surtout, toutes les études indépendantes portant sur son ingestion tendent à prouver que les nano-particules de titane passent la barrière hémato-encéphallique, celle qui protège le cerveau, pour aller obstruer les synapses provoquant ainsi des maladies cérébrales. Chez la souris, on note aussi que le dioxyde de titane provoque des lésions pré-cancéreuses au niveau du colon. Et si la commission européenne tarde à le sanctionner, la France, elle, a pris les devants, craignant un scandale de la magnitude de celui de l’amiante.
- Le deuxième facteur a considérer, ce sont les données de santé publique. On note dans les différentes populations Européennes, une montée en flèche du diabète – les gens consomment de plus en plus de produits trop gras ou bien trop sucrés – mais on a également assisté ces dernières années à l’apparition de phénomènes autrement inquiétants, comme des pubertés de plus en plus précoces, notamment chez les jeunes filles et dont on suppose qu’elles sont liées à la présence de perturbateurs endocriniens dans les produits de grande consommation.
- Dernier point. On observe une tendance de fond à mieux manger. Que ce soit pour des raisons positives (se remettre à faire la cuisine, économiser de l’argent, être en meilleure santé, faire une diète pour le sport…) ou par contre réaction (aux scandales alimentaires, à la surconsommation, aux documentaires sur l’industrie alimentaire et aux images d’animaux qui se font trucider dans les abattoirs), de plus en plus de consommateurs se convertissent à des modes d’alimentation plus raisonnés : moins de consommation de viande, végétarisme, véganisme, traçabilité des produits. Les gens ne veulent plus manger n’importe quoi ni donner à manger des cochonneries à leurs enfants. Les consommateurs vérifient de plus en plus souvent ce qu’ils ont dans leur assiette.
« Il y a également des questions de santé publique, on observe de plus en plus de diabète ou bien des des pubertés précoces liées aux perturbateurs endocriniens. Du coup, des outils apparaissent pour aider les consommateurs à faire le tri entre les produits »
Olivier : du coup, qu’est-ce que ça change concrètement en termes de sécurité alimentaire ?
Antoine : plusieurs choses.
- En premier lieu, de nouveaux outils sont apparus, comme MyPack, Yuka, Quels Cosmétiques (UFC que choisir), qui permettent de vérifier la qualité de ce qu’on mange ou bien de ce qu’on met sur sa peau.
- Ensuite, cela a eu pour effet de changer le comportement des marques. Certaines marques ont pris conscience du fait qu’elles allaient devoir tenir compte de l’opinion de leurs consommateurs lorsqu’elles formulent leurs produits. Et du coup, elles jouent pleinement le jeu. C’est le cas de la marque Timotei par exemple, chez Unilever, qui a supprimé les perturbateurs endocriniens, le paraben et le silicone de ses produits. Fleury Michon a également supprimé le nitrate de sodium -dont on sait depuis des années qu’il est cancérigène- de ses jambons. Mais d’autres marques feignent seulement de bien se comporter : elles remplacent par exemple le nitrate de sodium par du nitrate de potassium, guère plus convenable, mais ce tour de passe passe leur permet d’enlever en apparence un produit controversé des étiquettes. Enfin, certaines marques se montrent volontairement cyniques : elles étiquettent, par exemple, le dioxyde de titane sous un autre nom -à savoir son index colorimétrique : CI 77 891- et elles le placent en dernier dans la liste des ingrédients comme s’ils s’agissait simplement d’un code packaging. Cela leur évite de devoir revoir leur procès de production en ôtant un produit, ma foi très utile, de la liste des ingrédients. Peu importe s’il est nuisible au consommateur. C’est là que des applications comme la nôtre entrent en jeu : nous avons, par exemple, toutes les références du dioxyde de titane en mémoire et quand les industriels essaient de biaiser, nous pouvons lever la supercherie et dire la vérité au consommateur.
« Quand les consommateurs ont le choix entre deux produits, c’est de plus en plus le produit sain qui l’emporte »
Olivier : mais quel est l’intérêt aujourd’hui pour une marque de jouer le jeu de la transparence et de l’éthique en matière de sécurité alimentaire ?
Antoine : les marques n’ont plus réellement le choix en fait. Le consommateur n’est plus vraiment disposé à avaler n’importe quoi. Il le fait aujourd’hui mais par simple ignorance de ce qui se trouve dans son assiette. Mais les gens ne croient plus au marketing : une fois qu’ils ont compris qu’ils ingèrent du dioxyde de titane chaque fois qu’ils se brossent les dents, il n’y a plus de machine arrière. C’est une guerre de l’information. Et force est de constater que les usagers sont de mieux en mieux informés, parfois plus que les vendeurs et les marques elles-mêmes. Du coup, il devient de moins en moins intéressant pour les marques de maintenir en rayon des produits controversés : ils ne font plus recette. Quand les gens ont le choix entre deux produits, c’est souvent le plus sain qui l’emporte.
« Les applications comme MyPack ne sont pas que des applications de sécurité alimentaire, ce sont des tiers de confiance qui aident à ré-équilibrer le rapport de force usagers-marques »
Olivier : et quel est votre rôle dans cette histoire ?
Antoine : nous, nous sommes un tiers de confiance. Nous sommes à la fois là pour rappeler les faits et dire la vérité sur ce que les produits de grande consommation contiennent -nous avons donc un devoir d’impartialité et de rigueur sur ce que nous racontons- et d’autre part, les consommateurs nous utilisent comme un contre-pouvoir, comme un intermédiaire qui ré-équilibre le rapport de force avec les marques et garantit la sécurité alimentaire. En tout cas, nous ne voulons surtout pas devenir un média anxiogène.
Olivier : quel est l’objectif pour vous, MyPack, sur ce marché ?
Antoine : se contenter d’être une technologie de scan de packagings et de reconnaissance visuelle serait un peu court, je pense. Permettre aux usagers de disposer d’un wikipédia des produits est évidemment très important mais nous pouvons leur proposer plus que de juste éviter les produits nocifs en rayon. Nous pouvons les aider à faire entendre leur voix. Nous pouvons les faire passer de l’information client au vote client en les aidant à faire bouger les marques.
« Pour les marques on est de la good data qui leur sert à améliorer leur relation client. Pour l’éducation nationale on pourrait être un vecteur d’éducation des enfants vers de bons choix nutritionnels »
Olivier : et les marques ? Elles le prennent comment ?
Antoine : plutôt bien en fait. S’il arrive qu’il y ait quelques moutons noirs qui trichent sur leurs ingrédients, pour la majorité des marques, des applications comme MyPack sont de la « good data » qui leur sert à améliorer la sécurité alimentaire et la relation client. On est très loin des scandales du type facebook Cambridge Analytica dans lesquels la data était utilisée « contre » les utilisateurs ou bien à leur insu. Du coup, nous espérons créer un cercle vertueux dans lequel les marques co-créeraient leurs produits en tenant vraiment compte des besoins utilisateurs. Nous aimerions également beaucoup nous associer à des initiatives scolaires permettant d’éduquer les enfants au goût et à la nutrition saine. Bien se nourrir est un chantier essentiel de l’éducation nationale. Cela fait partie des données de base que tout citoyen devrait posséder pour s’en sortir.