Olivier : bonjour Benoît, merci d’avoir bien voulu nous accorder cette interview. Après un parcours dans la communication où tu aidais les entreprises à construire des brainstormings créatifs, tu es progressivement passé à l’évènementiel il y a une petite quinzaine d’années. Précurseur sur les questions de jeu, tu fondes avec Charles Carmignac l’agence Ma langue au chat, la première agence de communication ludique qui se fera notamment connaître en organisant la Chasse au trésor de Paris dont le but était de faire redécouvrir leur territoire aux parisiens chaque premier week-end de juillet. Avec au final, plus de 36000 participants partant à la rencontre des artisans et des acteurs de la capitale. Vous diversifiez ensuite les activités de l’agence pour conquérir un panel de client plus large : tu participeras par exemple à des lancements de voitures et de montres. Mais l’agence sera aussi le moyen de montrer que le jeu permet de gérer des sujets plus graves comme les procédures de crise dans les grandes banques privées. Tu veux bien nous en dire un petit peu plus ?
Benoît : bonjour Olivier, oui, Ma langue au chat nous a permis de gérer aussi bien des sujets ludiques que des sujets plus sérieux. Souvent les deux : je pense par exemple au lancement de Provence 2013 Capitale de la culture européenne qui est l’une de nos plus jolies réalisations et qui nous a permis de faire découvrir 15 territoires et villes de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur à travers une gigantesque chasse au trésor. Je suis ensuite repassé par l’évènementiel classique : il s’agissait de conseiller les DSI et les décideurs du CAC40 au travers de clubs des dirigeants avec un format très à l’américaine. Et même si l’expérience, en soi, était plutôt classique, elle m’a beaucoup appris. J’ai notamment réalisé à quel point les problèmes étaient transverses à toutes les organisations, quelle que soit leur nature.
Olivier : d’ailleurs, tu as continué de conseiller les dirigeants, je crois ?
Benoît : en effet, je suis retourné au jeu à travers une structure qui s’appelle l’Atelier des évènements et qui se concentre essentiellement sur la médiation par le jeu. Il s’agit de faire passer les messages des clients auprès de leurs cibles de la meilleure façon qui soit et donc notamment par le jeu. Et il s’agit aussi, plus profondément, d’aider ces industries à se transformer en provoquant de l’appétence pour le changement. A l’origine, nous avons commencé avec la société Saint Gobain et nous continuons aujourd’hui le travail avec différents types d’acteurs, y compris institutionnels.
Olivier : tu me disais que vous étiez intervenu sur le projet du Musée d’art contemporain de la ville de Lyon, le MAC, par exemple ?
Benoît : oui, nous sommes intervenus sur le MAC avec la société Anima Agent Ludique dont la spécialité est de créer des escape games dans les musées. Le MAC n’a pas de collections permanentes, les installations changent complètement d’une exposition à l’autre. C’est assez impressionnant d’ailleurs : il n’y a pas de cloisons fixes et l’espace est radicalement reconstruit à chaque fois, ce qui fait qu’entre deux évènements, le musée dispose de salles vides immenses. Or, durant les travaux de rénovation, les responsables de l’institution ne souhaitaient pas se couper du public trop longtemps. L’idée que les salles vides deviennent un terrain de jeu provisoire n’a donc pas tardée à germer.
Olivier : comment s’est passé la construction du projet ?
Benoît : nous avons tenté un coup d’essai, un samedi. Nous avons ouvert le musée et ses coulisses. Les visiteurs passaient dans le centre de documentation, des les auditoriums et au travers des résidences d’artistes que même les visiteurs réguliers du musée ne connaissaient pas. Cela a permis de mettre en exergue des espaces, des missions et des valeurs ignorées du grand public. Mais la mise en place n’a pas été une mince affaire : d’habitude, lorsqu’on construit un escape game dans un musée, on peut s’articuler et faire levier sur les oeuvres. Or, ici, nous ne disposions que de gigantesques espaces vides. Il fallait être engageant, énigmatique et excitant mais avec un budget tout à fait raisonnable et sans pouvoir meubler l’espace avec des appareillages ou sans disposer de personnel qui aurait pu aider. Il fallait donc que les jeux soient auto-portés.
Olivier : vous avez créé un parcours de visite ?
Benoît : oui, un parcours, comme un long fil rouge que nous avons saupoudré d’astuces. Le fil d’Ariane du jeu était la recherche dans le musée d’un confetti minuscule caché quelque part et, pour y parvenir, il fallait passer au travers de différentes énigmes : un bac rempli de boules au sein duquel il fallait trouver un symbole scotché permettant de passer à l’étage supérieur, une lumière noire de très mauvaise qualité vous obligeant à suivre à la trace des inscriptions sur les murs, des groupes qui se croisent sans perdre le fil de leur quête et sans se mélanger… Au final, cela donne un joyeux bordel, des gens accroupis un peu partout à chercher des indices et l’impossibilité pour eux de copier les autres ou bien de passer à travers les salles sans s’être prêté au jeu.
Olivier : une idée en particulier qui t’a marquée ?
Benoît : plusieurs. Les gens qui se se demandaient si les grenouilles que nous avions accrochées comme une pluie de magnolias dans laquelle il fallait trouver des indices était une véritable oeuvre d’art ou non. L’ambiguïté était délicieuse. Une trappe à soulever au dernier étage et qui donnait sur un capharnaüm au sein duquel il fallait trouver un indice. Là encore, les gens se sont posés la question de l’oeuvre contemporaine. Et enfin, un jeu de cambriolage avec des alarmes qui nous a permis de faire traverser des pièces « sensibles » ou privées à l’intérieur desquelles on ne pouvait pas déplacer les objets sans que les visiteurs ne touchent à rien.
Olivier : quelle conclusion tires-tu en général de ces expériences pour la culture ?
Benoît : le plaisir d’éveiller la curiosité, les émotions positives dans le rapport à la culture notamment chez des enfants que les parents traînent au musée ou bien chez des visiteurs qui ne seraient pas venus autrement.