Dans cet article, Khaled Al Kuntar, spécialiste des marchés luxe et grand prestige pour Fast & Fresh nous explique comment la définition du luxe est en train de changer avec l’arrivée des Millenials.
« La définition du luxe traditionnellement admise ne tient plus »
Olivier : bonjour Khaled. Au cours de l’une de nos recherches pour une marque de conciergerie ultra-luxe, tu nous disais que la définition du luxe communément admise ne tient plus. Tu peux nous expliquer ?
Khaled : nos études qualitatives et quantitatives sur les évolutions du secteur du luxe montrent que la définition du luxe telle que traditionnellement admise devient insuffisante.
Brun & Castelli (2013) rappellent dans leur article les définitions habituelles du luxe :
- La définition pragmatique : le luxe, c’est ce qui a un prix élevé et qui est réservé à l’élite
- La définition antique : le luxe, c’est un marqueur de superflu donc de pouvoir
- La définition de la révolution industrielle : le luxe, c’est du confort
- Auxquelles on pourrait ajouter une définition psychanalytique, celle dont nous parlons souvent à l’agence : le luxe, c’est une jouissance sans tâches, une absence de mort ou de sevrage. Un peu comme quand au moyen-âge on faisait des banquets pour exorciser la famine.
Mais le monde change et ces définitions deviennent effectivement obsolètes.
« Une définition du luxe qui bouge avec les évolutions de marché et la géo-politique »
Khaled : la définition du luxe n’est pas qu’intemporelle et intangible.
Comme toutes les définitions, la définition du luxe change, on pourrait dire qu’elle se colore, en fonction des conditions de vie, des contraintes humaines et des variations géo-politiques.
Dans ce cadre, plusieurs choses sont à considérer. Si on écoute les rapports de Mc Kinsey (2008) et les études de Braningan (2011), Brun (2013), Liu (2013) et Turner (2015) :
- En 2014, la chine représentait 20% des ventes de luxe avec plus d’un trillion de dollars en ventes luxe. La Chine est devenue le premier producteur de millionnaires et un grand nombre de foyers gagnent plus de 40.000 $ par an avec, par conséquent, un accès privilégié au luxe
- Le luxe ne se réduit plus à quelques marques classiques : tout le monde prétend faire du luxe et différencier le vrai luxe du premium sur un marché saturé où les marques ne font parfois plus l’effort du vrai luxe est devenu compliqué
- Le web a tendance à tuer le luxe : en dépersonnalisant la relation client, en l’extrayant des corners, en important des logiques de comparatifs de prix et en rendant tout accessible tout le temps, le web a tendance à dépouiller le luxe de ses atouts
La définition du luxe n’est donc pas intangible, elle bouge en raison de l’arrivée de nouveaux acteurs (la Chine, Le Brésil, l’Inde) qui imposent leur vision, leur patte et leurs attentes mais aussi en raison de l’arrivée du digital qui bouleverse radicalement le rapport aux marques de luxe.
« Une définition du luxe qui devient milleniale »
Khaled : on pourrait donc dire que la réalité rattrape un luxe qui était parfois figé dans une tour d’Ivoire.
Aujourd’hui, on constate plusieurs tendances nouvelles :
- Le luxe, c’est aussi les pays émergents : la Chine ne se content plus de consommer le luxe à la Française, elle veut produire son propre luxe, sécréter sa propre identité
- La génération Y est devenue l’un des premiers consommateurs du luxe. Avec des habitudes très différentes de celles de ses aînés : personnaliser un sac Chanel vintage est plus amusant qu’en acheter un neuf
- Le statut social joue aussi mais pas comme on le pense : les jeunes chinois par exemple utilisent le luxe pour se démarquer des générations précédentes, pour souligner leur optimisme mais aussi pour se débarrasser des stigmates sociaux et des clichés sur les chinois
- Un nouveau segment luxe est apparu : les wabi sabi pour qui passer une nuit en bateau sur la mer Egée est plus important que d’avoir une montre ostentatoire. C’est l’expérience qui compte.
- Ce sont les marques intemporelles comme Chanel qui inspirent le plus de respect. Parce qu’elles ne se galvaudent pas avec des effets de manche et des effets de mode
Un monde en changement. Une définition du luxe en changement. Le luxe fait finalement honneur à la définition de Coco Chanel : « le luxe est un style de vie, une prise de soin, pas une ostentation ».