« Drawing Now Art Fair » et du Drawing Lab : créer un évènement pour ramener les visiteurs au dessin d’art contemporain
Olivier : bonjour Christine Phal. Diplômée en 1989 de l’institut d’études supérieures d’art (IESA) après avoir mené une première carrière dans la pharmacie, vous ouvrez dans les années 90 la Galerie Phal à la Bastille, puis en 2000, rue Mazarine à Saint-Germain-des-Prés. Un déclic se produit en vous lorsque en 2006, vous demandez à Philippe Piguet de devenir le commissaire d’une exposition sur le dessin contemporain : Philippe Piguet vous montre comment le dessin peut se décliner sur une multitude de supports et au travers d’une grande variété de techniques sans devoir nécessairement se cantonner à l’habituelle feuille de papier. Cette rencontre continue de nourrir une réflexion que vous aviez déjà amorcée et vous finissez d’ailleurs par vous rendre compte qu’il n’existe aucun évènement autour du dessin contemporain à Paris. Se pose alors une question simple : comment ramener les visiteurs à ce support ?
Seul le salon du dessin ancien existe mais quoique très qualitatif, il se contente de conjuguer le dessin au passé. Rien n’existe sur le dessin contemporain : ce dernier n’a pas sa place dans les foires traditionnelles et seuls quelques collectionneurs avertis peuvent le découvrir dans les réserves des galeries. C’est pour cela que vous décidez de fonder le Salon du dessin contemporain, en 2007 avec votre fille Carine Tissot avec qui vous dirigez aujourd’hui l’agence évènementielle CPCT Arts & Events. Initialement nomade, installé au Carrousel du Louvre de 2010 à 2014, le salon connaît rapidement un franc succès.
Le Drawing now art faire : une plateforme pour fédérer les exposants, les visiteurs et les acteurs de la culture
A votre retour au Carreau du Temple en 2014, ce ne sont pas moins de 75 galeries exposantes qui vous accompagnent. En 2011, vous décidez de renommer le salon « Drawing Now Art Fair » pour souligner la contemporanéité de la manifestation que vous dotez en parallèle d’un parcours de visites dans les institutions parisiennes, d’une nouvelle plateforme pour les galeries émergentes, d’un programme de Talks et rencontres et d’un prix.
Pour la dixième édition de la foire, vous organisez un symposium sur le dessin soutenu par le Ministère de la Culture. Aujourd’hui, le pari de ramener les visiteurs au dessin d’art contemporain est tenu puisque le salon reçoit chaque année plus de 20.000 visiteurs. Ce qui vous a d’ailleurs amené à ouvrir un lieu plus intime : le Drawing Lab, rue de Richelieu à Paris. Le Drawing Lab est un centre d’art privé dédié à la promotion et à la diffusion du dessin contemporain : le lieu se veut un carrefour d’expérimentation et de production du dessin sous toutes ses formes. 150 m2 sont mis à disposition à des artistes français et internationaux sélectionnés par un comité indépendant. Les artistes sont invités à faire sortir le dessin du support papier et explorer de nouvelles formes et de nouvelles techniques. Vous nous en dites un peu plus ?
Le dessin contemporain : un support provoquant un ressenti organique presque physique
Christine Phal : en effet, à l’époque où j’ouvre la Galerie Phal, le dessin contemporain est surtout l’affaire de quelques aficionados : la majorité des galeristes n’expose que quelques œuvres sur papier et, vous avez raison, ils étaient souvent relégués dans l’arrière-boutique. D’autre part, aucun salon sur le dessin contemporain n’existe et lorsque les galeries participent à des foires plus généralistes, le prix des stands est tel qu’il oblige les exposants à privilégier ce qui se vend le mieux : la photographie et la peinture, au détriment du dessin qui intéresse alors peu les foules.
En créant la Drawing Now Art Fair, nous souhaitions donc mettre le dessin contemporain à l’honneur. Pour moi, le dessin a toujours été une passion, il possède une force extraordinaire : avec le dessin, on ne triche pas, on y met ses tripes. Une peinture, par exemple se répare, on peut toujours la corriger. Avec le dessin, il n’y a pas de repentir. Et le public ne s’y trompe pas : si nous arrivons à ramener les visiteurs sur des sujets considérés comme assez techniques et élitistes, c’est parce que le dessin produit un ressenti organique, presque physique que le public ressent.
Le dessin contemporain, une idée longtemps oubliée des galéristes et du public que la Drawing Art Fair remet à l’honneur
Olivier : l’œil du public a évolué sur le sujet ?
Christine Phal : plusieurs choses ont changé, pas seulement l’œil du public ! Notre monde a changé et dans un monde d’écrans, devenu plus nomade et plus virtuel, l’image permet de communiquer avec force. Ensuite, nombre de jeunes artistes ont choisi le dessin comme moyen d’expression : pour leur génération, le dessin était une évidence. Les galeries que nous présentons ont changé, elles aussi : elles se sont mises à exposer régulièrement les dessins d’artistes reconnus. Nous avons apporté notre pierre à cet édifice. Mettre sur pied la Drawing Now Art Fair a été un projet difficile mais nous accueillons à présent plusieurs dizaines de milliers de visiteurs et nous aidons à redonner au dessin contemporain toutes ses lettres de noblesse. Je n’en demandais pas davantage
Olivier : plus de 20.000 visiteurs, l’évènement a pris de l’envergure. C’est une véritable ruche.
Christine Phal : le salon se déroule sur une durée de 5 jours, c’est court et très dense. Avec notre petite équipe nous cherchons à apporter aux visiteurs aux artistes et aux exposants une plateforme mettant le dessin contemporain à l’honneur. Et puis, l’un des avantages de cette foire, c’est que la plupart des artistes sont vivants, ils sont présents, cela permet de créer une proximité avec les visiteurs et les collectionneurs. C’est d’ailleurs un retour que nous avons régulièrement de la part des visiteurs : le plaisir d’avoir rencontré l’auteur.
Le Drawing Lab : un lieu pérenne pour défendre le dessin contemporain à Paris
Olivier : pourquoi avoir créé le Drawing Lab ?
Christine Phal : ramener les visiteurs au dessin d’art contemporain, c’est également une question de logistique. Il est impossible de louer des lieux comme le Carrousel du Louvre ou le Carreau du Temple sur de longues périodes. Ce serait trop onéreux. Or, lorsque l’on souhaite mettre le dessin à l’honneur, il faut permettre aux artistes un temps long de création in situ, il nous fallait donc créer un lieu pour ces expérimentations ! Ce lieu c’est le Drawing Lab qui nous permet de continuer de défendre le dessin contemporain tout au long de l’année. Le promoteur du 17 rue Richelieu nous avait prêté l’immeuble avant sa réhabilitation en 2012. Il souhaitait réaliser un hôtel. Nous lui avons loué l’immeuble après sa réhabilitation : ma fille a pris la direction de l’hôtel et donné carte blanche à 6 artistes qui ont créé la scénographie des étages. Ils ont joué avec les couloirs mais nous avons gardé des chambres plus intemporelles. Nous ne souhaitions pas imposer l’art de force aux visiteurs. De mon côté, je gère la partie Drawing Lab comme un centre d’art privé : j’ai constitué un comité composé d’experts aux regards différents (critiques d’art, collectionneurs, directeurs de musées…). Le comité reçoit les dossiers, en sélectionne un petit nombre et nous organisons avec chaque artiste retenu une exposition entouré d’un véritable suivi : hébergement, communication, catalogue… L’idée est de les aider à disposer d’un véritable mécénat, notamment grâce à l’hôtel 4 étoiles qui fait tourner le bâtiment.
Un mécénat pour les artistes et le dessin contemporain
Olivier : comment sélectionnez-vous les dossiers ?
Christine Phal : nous voulons proposer toutes les facettes du dessin contemporain. Nous souhaitions lutter contre l’uniformisation. Rien de pire que de ne pas sortir de son cercle de références. Nous voulions mettre toutes les formes de dessin à l’honneur : l’Allemagne plus austère et plus géométrique, l’Italie plus narrative, le Japon, plus expérimental… Nous choisissons donc des artistes avec des horizons très différents et, pour ce qui est des jurés, nous demandons l’aide de regards complémentaires comme la curatrice de l’Albertina Museum de Vienne ou la curatrice senior du Palais de Tokyo. Cela nous permet de ne pas tomber dans des visions trop entendues ou bien trop à la mode.
Olivier : vous rencontrez des complexités dans la mise en œuvre ? Dans l’une de nos récentes interviews, Stéphane Vatinel nous faisait remarquer qu’être précurseur en France n’est pas toujours de tout repos.
Christine Phal : la France est toujours un peu frileuse lorsque l’on revêt différentes casquettes. Organisatrice d’une foire d’art contemporain, directrice d’un lieu de philanthropie installé dans un hôtel… Quelquefois, cela perturbe les gens. Il faut les amener sur place pour leur faire comprendre que le projet a une vraie unité : il ne s’agit pas juste d’une collection hétéroclite de pièces rapportées. Drawing Now est un évènement exceptionnel mais qui ne se déroule que sur 5 jours, le Drawing Lab est davantage la synthèse des rencontres de ces douze dernières années, c’est une maison en quelque sorte. On peut y narrer des histoires plus longues, susciter des rencontres entre le public et les artistes, organiser des ateliers, des visites, des manifestations comme le mois du dessin, des parcours itinérants. Avec le Mois du dessin qui devient une manifestation nationale, nous pouvons aller plus loin que les publics de convaincus et toucher des publics scolaires ou des publics ruraux qui seraient restés hors de portée. Parfois la rencontre entre un artiste et un élève résidant au cœur d’une campagne suscite de la complicité, une vocation, l’envie d’en savoir plus. Au contact de l’œuvre et des artistes, les gens dépassent les préjugés ou bien les peurs initiales. On peut s’adresser à des publics qui n’auraient pas osé passer la porte.
De l’importance de la place de l’artiste dans la société
Olivier : finalement, ramener les visiteurs au dessin d’art contemporain et, plus généralement à la culture, c’est une question d’innovation ?
Christine Phal : lancer des idées et les voir se réaliser. Je ne me revendique pas curateur mais c’est toujours très beau de voir les choses prendre corps, de lancer des concepts et de voir d’autres s’en saisir pour les faire vivre. L’autre chose, c’est que j’aime faire éclater les bulles dans lesquelles les gens sont parfois enfermés : croiser des mondes qui ne se parleraient pas comme l’art et l’entreprise par exemple. Ce n’est pas pour rien si certaines entreprises, après avoir regroupé tous leurs employés dans des tours parfois excentrées et isolées reviennent de ces tendances à la rationalisation seulement logistique et comptable pour réinvestir les centres villes. On n’est créatif que lorsqu’on est pris dans une matrice de rencontres, d’influences et de possibles. Le monde bouge vite, si l’on veut rester connecté, il faut se nourrir. Un artiste lit, sort, se nourrit, écoute, échange. Passer des heures avec des artistes permet de se nourrir soi-même. C’est pour tout cela que nous avons construit le Drawing Lab comme un lieu ouvert sur la ville : le centre est gratuit, nous organisons des ateliers pour les enfants, nous montrons aux visiteurs qu’il est possible de dessiner avec des outils très différents : avec de la poudre de graphite et un chiffon par exemple, avec les doigts, avec un bâton, avec du sable. L’expression est libre et ouverte, c’est elle qui compte : la technique n’est pas primordiale. C’est ce que nous essayons de faire passer ici : le dessin contemporain est une chose qui sort du cadre.