Stylisme : la question des marges de créativité dans le luxe
Khaled : bonjour Arthur, tu es styliste et directeur artistique. Tu viens à l’origine du monde du théâtre dans lequel tu as débuté comme régisseur. Tu a donné des cours à la Sorbonne et tu enseignes à l’AEMC le management culturel. Tu as notamment travaillé pour le réseau Déambulation – réseau francilien de diffuseurs d’arts en espace public puis à la mise en place de projets culturels inclusifs sur la boucle Nord des Hauts-de-Seine. Tu as également collaboré au sein du Conseil Départemental des Hauts-de-Seine e à la production de « La Défense Tours Circus » – destiné à promouvoir les arts du cirque en collaboration avec des compagnies prestigieuses comme Pan.Optikum ou la Compagnie Off. Tu as par ailleurs travaillé à plusieurs manifestations autours des question de l’art en espace public . Tu es passé progressivement depuis 3 ans dans le secteur du luxe et de la mode à la suite d’une collaboration avec Van Cleef & Arpels. Tu fais maintenant essentiellement du stylisme photo, domaine dans lequel tu réussis. Tu veux bien nous expliquer la raison de cette bascule et en quoi tes compétences dans le théâtre et dans le domaine culturel ont été une aide ?
Le stylisme est d’abord une question de management
Arthur : les gens ont souvent une vision un peu réductrice du stylisme. Quand on évoque cet univers, ils ont rapidement en tête l’image d’Epinal d’un designer habillant un mannequin. Mais cela fait longtemps que le stylisme n’est plus une simple question d’habillement. Dans les meilleurs jours, le travail de création ne représente jamais que 25% de notre activité. La direction créative pour un shooting est d’abord une question RH : il s’agit de réunir les bonnes compétences et d’arriver à les articuler correctement pour obtenir, en fin de course, une image bien construite à partager avec la marque qui l’a commandée. Avoir une large équipe, pour un styliste reflète simplement les évolutions et la modernisation du métier (les mannequins ne se maquillent plus elles-mêmes, les enjeux avec les produits sont de plus en plus important…) Un styliste ne peut pas se disperser entre le make up, le steaming des vêtements ou bien encore la coiffure. Il se doit d’être focalisé sur l’essentiel : la coordination de l’équipe et la vision artistique du projet.
C’est en cela que le fait d’âtre passé par le métier de producteur dans le domaine culturel est une aide précieuse. Le producteur accompagne la programmation, doit garantir la qualité du contenu créatif ainsi que des aspects logistiques et financiers. Tout ce qu’un styliste photo indépendant doit bien savoir faire. Le métier de régisseur et de producteur est en réalité un métier très technique. Pour « Défense Tours Circus » ou pour les festivals d’art en espace public dont je parlais précédemment, il fallait par exemple veiller à la construction et la mise en place des œuvres et des performances sur une dalle inconstructible, veiller aux questions de sécurité ou encore organiser la circulation du public. Un producteur ne peut pas être léger. Il faut savoir superviser, accompagner, coordonner et vérifier.
Khaled : pour résumer un styliste est un manager et garantit une vision tout autant qu’un producteur. Quelles sont les autres dimensions nécessaires pour effectuer ce métier ?
Le stylisme n’est pas un simple glaçage à la mode, il faut un oeil et une vraie culture
Arthur : la communication d’abord. C’est un élément incontournable. Sans self branding, on n’existe pas. Il faut être visible pour les magazines et pour les marques et cela implique d’être aux fashion weeks, aux press days, aux présentations sans pour autant se comporter comme un influenceur. Notre métier n’est pas le même. Il faut également bien faire comprendre que notre métier n’est pas qu’un glaçage à la mode. Il faut avoir un regard, une vraie culture, savoir éviter toutes les fautes. D’autre part, au-delà du face à face avec les clients, il faut passer du temps à peaufiner sa communication digitale : un site web est évidemment important mais ce sont les réseaux sociaux qui ont pris le pas. C’est une activité cruciale et j’ai d’ailleurs une assistante qui m’aide à poster régulièrement du contenu. Et il faut travailler certains réseaux en particulier : tous les réseaux sociaux ne sont pas équivalents. Les posts Snapchat par exemple ont une durée de vie très courte et sont – à mon sens – peut profitables pour construire une image professionnelle.
Khaled : qu’est-ce que tu produis aujourd’hui pour les marques. J’entends par là, quelle est la valeur de ton conseil au-delà de la construction d’une image ?
Mon travail est de passer une vision et de mobiliser les gens autour d’un projet
Arthur : nous fournissons une prestation de conseil stratégique. Quand je produis un moodboard, il ne s’agit pas de planches de tendance pure. Je ne suis pas un bureau de tendances. Dans les 8 pages du document que je fournis, je dois résumer de façon synthétique une vision pragmatique et actable : les intentions de cadrage, la typologie de poses du mannequin, la lumière, le stylisme, les accessoires, le make up, les ongles. Le document doit permettre d’arriver à une fin, à une construction. Par la suite, notre travail est de mobiliser les gens autour d’un projet et d’arriver à passer les intentions créatives pour qu’elles soient exécutées.
Khaled : qu’est-ce qui est compliqué aujourd’hui dans ton métier ?
La difficulté principale aujourd’hui, c’est d’arriver à être libre. A trouver des marges de liberté
Arthur : la difficulté principale aujourd’hui, c’est d’arriver à être libre. Ou en tout cas d’arriver à dégager des marges de créativité. Le secteur est tellement structuré qu’au final les marques laissent de moins en moins de place à la création. Leur plan média définit très précisément le sujet, la ligne éditoriale, la façon de mettre en valeur le produit. Les stylistes en sont parfois réduits à faire de l’habillage : quand les photographies doivent par exemple ne montrer que les « fulls looks » d’un défilé, il ne reste aucune place à l’invention. Le styliste doit se contenter d’habiller le mannequin avec ce qu’on lui donne.
Khaled : je comprends tout à fait. Nous parlions dans un récent article publié sur notre blog comment les jeunes consommateurs étaient eux-mêmes à la recherche de ces marges de liberté au-delà des simples discours marketing lénifiants. Comment fais-tu de ton coté pour retrouver des marges de liberté ?
La liberté, ça se prend, il est vital de ne pas se laisser cloisonner
Arthur : certains magazines comme notamment « À part » ou bien « Glamcult » sont hors gros groupe média, ils sont encore indépendants et offrent donc des portes de sortie à emprunter pour être libre. On peut encore y faire des choses. Le magazine indépendant est une voie formidable à explorer. J’ai d’ailleurs lancé un fanzine (VOYEUR Fanzine) qui me permettra d’aller vers de nouvelles choses. La liberté, ça se prend : même si j’aime beaucoup la mode et que c’est un catalyseur formidable, je n’en viens pas moins du spectacle à l’origine et il est important de ne pas se laisser cloisonner. Il se passe par exemple beaucoup de choses intéressantes dans le domaine de la danse contemporaine. Mais ne soyons pas trop pessimistes, certaines marques ont une culture de la création et elles vous laissent tester des choses de façon bienveillante : elles créent aussi des interstices.
Khaled : qu’est-ce que tu respectes dans ce métier ?
Ce que j’aime, ce sont les gens qui se forcent à une errance volontaire, qui savent faire autre chose quand ils ont fait le tour du sujet
Arthur : les gens qui ont une patte. Je ne suis pas certain d’en avoir une, je pense qu’il faut beaucoup de temps ou de talent pour y arriver. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Hedi Slimane fabrique, par exemple, un hyper luxe qui est identifiable et indiscutable et que d’autres marques n’auront jamais. Mais être reconnaissable n’est pas forcément une chose qui m’intéresse personnellement, ce n’est pas un de mes objectifs étant du côté du conseil et de l’accompagnement des marques. J’aime aussi les gens qui ne se laissent pas abîmer dans l’habitude. Les gens qui, lorsqu’ils ont fait le tour du sujet savent faire autre chose. Les gens qui se forcent à une errance volontaire et une fabrique perpétuelle. Que ce soit en stylisme ou ailleurs, je suis un faiseur, je ne sais pas être un poseur. Poser est l’antithèse d’une construction : il ne suffit pas de se donner un genre, ce n’est suffisant. Ce qui m’intéresse, c’est de ne pas me complaire dans ce que je connais et de le répéter, Au contraire, c’est de créer de nouveaux espaces et de faire rêver.