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Déguisement et apple

Le Web 2.0, pas une révolte sire, c’est une révolution

C’est quoi une révolution ?

C’est bien la première question qu’on peut se poser : c’est quoi une révolution ?

En effet, on parle souvent de Révolution Numérique en discutant de ses conséquences mais sans jamais en comprendre les causes. Pourtant, si on veut anticiper les changements, il faut comprendre leur mécanique. Pour saisir les rouages de la révolution numérique, nous allons donc faire appel au sociologue par excellence des révolutions : Marx.

1 – Dépassionner Marx

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Je vous refais le petit laïus de l’article précédent en accéléré : Marx n’est pas à confondre avec le communisme qui, au fond, lui a fait beaucoup d’ombre. Marx a essentiellement (et brillamment) écrit sur le fonctionnement de l’économie et sur les dynamiques sociales. Et pour reprendre Jacques Attali dans son dernier livre « Urgences Françaises » : « L’idéologie Marxisante [a été] conçue par des gens qui n’ont jamais lu Marx ».

Que nous dit Marx sur les révolutions ?

2 – Les révolutions ne sont pas des accidents de l’histoire. 

Ce sont des phénomènes réguliers et nécessaires, qui ont une fonction et qui se produisent quand un certain nombre de conditions sont réunies. Marx aurait dit « quand les sociétés sont mûres ».

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3 – Le ressort d’une révolution, c’est la contradiction entre forces productives et rapports de production. 

En clair, une révolution, c’est un clash entre ceux qui génèrent de l’argent frais et ceux qui possèdent les murs. C’est une rupture entre d’une part les nouveaux acteurs d’une société, ceux qui construisent le monde, ceux qui tissent la modernité et d’autre part ceux qui le possèdent, ceux qui gouvernent. C’est un clash entre forces progressistes et forces conservatrices.

Pour bien saisir le mécanisme, nous allons prendre l’exemple de la révolution française. D’un point de vue Marxiste, la révolution française est un clash entre la vieille noblesse d’ancien régime et la nouvelle bourgeoisie tout fraîchement créée par la révolution industrielle naissante. Au moment de la révolution française, la noblesse ne représente déjà plus personne. Les nobles sont issus du vieux système agraire et féodal de servage qui les a porté au pouvoir mais qui est déjà en train de se faire éclipser par les progrès à venir de la révolution industrielle.

On se retrouve donc dans un situation paradoxale où ceux qui ont les rênes de l’état, les nobles, ne sont pas ceux qui produisent les richesses, à savoir les bourgeois. Les bourgeois vont donc renverser la noblesse pour acquérir le pouvoir : on va ainsi passer de l’ancien régime aux Bonapartes. Les forces progressistes, les bourgeois, vont donc balayer irrésistiblement les forces conservatrices de la société, les nobles, pour pouvoir s’exprimer à plein. C’est ce qu’Isaac Asimov appelle avec beaucoup d’humour « le vide ordure de l’histoire » : on fait place nette.

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4 – Les idées révolutionnaires procèdent du matérialisme historique

Là encore, on peut reprendre l’exemple de la révolution française : on a toujours l’impression que ce sont les philosophes du siècle des lumières qui ont préparé la révolution. En fait, il faut prendre la chose à l’envers : c’est la révolution qui les a créé. En effet, la révolution ne démarre pas comme un coup de feu en 1789, elle démarre bien avant, elle mûrit au sein de la vieille société d’ancien régime. Il serait faux de croire que le clash entre noblesse et bourgeoisie intervient en 1789, il est présent depuis longtemps sous l’ancien régime.

La révolution de 1789 n’est que la fin du clash, sa résolution en quelque sorte, résolution qui se solde par la victoire de la bourgeoisie. Et les textes révolutionnaires des philosophes qui semblent préparer 1789 ne sont en fait que la conséquence (Marx aurait dit l’expression au niveau des idées) d’un malaise, d’un rapport de force sous-jacent qui minait depuis longtemps la société d’ancien régime.

 

Du coup, c’est quoi la révolution numérique ?

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1 – Une révolution, c’est un bras de fer, c’est une opposition qui mûrit longuement : pour l’anticiper, il faut donc repérer les points de friction

Où se trouvent les points de friction à l’heure actuelle ?

– En économie : la fermeture de Virgin, M6 et TF1 qui serrent les fesses devant l’arrivée de Netflix et de Google TV, le logiciel libre, l’Apple Store face à Warner,  l’apparition d’Ebay ou d’Etsy …

– En politique : les printemps arabes, le mécontentement politique en Europe, l’exception culturelle française, Occupy Gezi, les grèves pour la réouverture de la télé grecque, Wiki leaks, Prism, Anonymous, la démocratie participative …

– Dans le culturel et le social : le téléchargement illégal, l’opposition entre Google et la BNF, l’exception culturelle française, la mauvaise réputation des jeux vidéos …

En mettant en parallèle ces différents évènements, on voit bien comment les grandes firmes américaines (Google, Apple, Facebook, Twitter…) sont en train de faire voler en éclat les anciens rapports de production (l’hégémonie étouffante de Virgin, TF1, des gouvernements arabes, de la démocratie paternaliste …) pour permettre à de nouvelles forces productives (vous, moi, les développeurs d’apps dans leur garage, les producteurs locaux, les télé-travailleurs …) de s’exprimer à plein.

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La création et la diffusion des contenus numériques, qui étaient jusque là serrées entre les mains de quelques majors – dont l’état- sont en train d’être redistribuées au sein de la population. Des plateformes comme Youtube et l’Appstore ont libéré le marché : chacun dispose des outils pour créer et diffuser du contenu. Youtube et l’appstore sont des places de marché ou chacun peut venir vendre la production qu’il a créé dans son garage.

 

2 – Une révolution produit des bouleversements structurels plus ou moins visibles, qu’on peut repérer

– Au niveau économique : la fin des intermédiaires inutiles. On le voit bien à travers des cas emblématiques comme Virgin Megastore vs la Google TV ou l’Appstore. A moins qu’il y ait une valeur ajoutée à passer par Virgin, les gens l’outrepassent et vont consommer directement à la source. Par exemple, les gens téléchargent Games of Thrones directement, ils n’attendent plus que Canal+ le diffuse (en retard). L’autre conséquence, c’est la formidable densification de l’offre et donc en miroir la fragmentation de l’audience.

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– Au niveau politique : on observe de la discussion. On pourra à ce sujet reprendre la description que Talleyrand fait de la société française juste avant la révolution : « [On allait] au salon de courtisanes fameuses. On discutait. Chacun se trouvait trop gouverné. Peut-être n’y a-t-il aucune époque de notre histoire où on l’ait été moins, et où chacun, individuellement et collectivement, ait autant franchi ses limites. » Et on observe aussi un besoin de contrôle : les individus ne restent plus passifs, ils sont devenus agissants et n’hésitent plus à challenger le pouvoir pour lui demander des comptes : les pays arabes longtemps balayés d’un revers de la main comme des pays du tiers monde ont ce coup-ci 50 ans d’avance sur nous. Ils ne veulent pas voter pour quelqu’un sur lequel il n’ont plus de droit de regard une fois les élections passées, il veulent agir avec lui au cours de son mandat.

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– Au niveau culturel, une vraie démocratisation de la culture. La culture et le ludique sont devenus un marché gigantesque. Les masses ont soif de culture. Et on voit bien comment des acteurs comme la BNF vont finalement passer au vide ordure de l’histoire parce qu’ils inscrivent toujours leur action dans le vieux schémas pyramidal de communication. Ils se voient comme une tour d’ivoire de la culture, ils sont en posture défensive, ils pensent devoir défendre une exception culturelle. Là où en face, le marché se contrefiche de leur exception.

Le marché ne les voit même pas comme une source de diffusion. La seule chose qui les sauverait, c’est de prendre la vague en marche, d’ouvrir les portes, de produire des contenus accessibles, vulgarisés, opérationnels, traduits, podcastisés, présentés par le collège de France et envoyés depart le monde via TV5 Monde ou France 24. On ne défend pas une culture, on la fait découvrir.

On voit bien au final, ce qui caractérise cette révolution : vous, moi, pauvres péquins sommes devenus des acteurs et plus des spectateurs passifs. On est passés d’un coup des régimes Ottomans à la démocratie Grecque.

3 – Une révolution, est-ce que c’est un homme providentiel ?

Est-ce que ce sont quelques hommes qui font l’histoire ? Comme Steve jobs par exemple ?

Moi, je dirai que c’est plutôt les outils qui font l’histoire : un outil technologique, c’est comme une faille dans un barrage. Le malaise social, vous devez l’imaginer comme des tonnes d’eaux accumulées derrière le barrage monté par les forces conservatrices de la société. L’outil, c’est une faille dans le barrage. Prenons un exemple : cela faisait longtemps que le malaise couvait dans les pays arabes et puis Marc Zuckerberg a eu la bonne idée de créer facebook et « pouf », c’est parti tout seul : les gens ont pris conscience les uns des autres et ça a créé une réaction en chaîne, un effet de groupe. Comme je le disais dans mon article précédent, ça a rééquilibré le rapport de force et du coup, ça a libéré la pulsion.

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Le plus intéressant dans tout ça, c’est que la révolution qu’on est en train de vivre, elle n’est peut-être pas Marxiste après tout. Elle est peut être positiviste. C’est peut-être une société du savoir dirigée par les ingénieurs et les scientifiques ?

Olivier pour Fast & Fresh

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Olivier est le directeur de l'agence de Recherche Utilisateur & Stratégie Utilisateur Fast & Fresh. Spécialiste en comportement consommateur, il travaille avec le laboratoire de Psychologie de Montpellier 3 pour aider les marques à comprendre leurs utilisateurs et à construire de vraies relations de marques et d'entre-aide. Pas de neuromarketing chez Fast & Fresh, nous ne pensons pas que brutaliser vos utilisateurs pour vendre des produits soit la bonne solution.