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L’effet waouh (mais pas au rabais)

Corneille Insight Psychologie UX

L’Homme, est un animal adaptatif. Il a besoin d’appréhender le monde qui l’entoure pour toujours mieux avancer. La récompense quotidienne à cette recherche de sens, c’est l’insight. 

L’insight correspond à ce moment particulier où un individu accède à un schéma de pensée lui permettant de résoudre une situation problématique : l’insight c’est le aha ! , le eurêka ! le déblocage physique ou intellectuel, c’est l’ampoule qui brille au dessus de la tête.

Le terme se traduit d’ailleurs en français par différents termes tels que perception, perspicacité et discernement.

C’est Wolfgang Köhler (1887-1967), chercheur en psychologie, qui le premier a défini ce phénomène au sens cognitif.

La ligne directrice de ses travaux consiste à dire qu’un insight est en réalité une gestalt : c’est à dire une sorte de configuration composée de relations dynamiques entre des éléments. La perception que ce soit d’un objet, d’un tableau, d’un visage ou d’une énigme, est comme une molécule reliant des atomes : c’est un schéma reliant des stimuli entre eux.

D’après Köhler, l’insight correspond au temps fort d’une résolution. Pour y accéder, le sujet doit avoir construit une représentation mentale du problème à résoudre puis discerner d’une façon abrupte une nouvelle configuration comprenant les mêmes éléments.

W. Kölher fait ainsi la différence entre les constats déterminés par phases successives d’essais et d’erreurs et les résolutions comportant une réorganisation complète du système de pensée initial : l’insight.
En Recherche et Développement, ce qui est nommé insight consommateur est vu sous une perspective allocentrée. Les créateurs d’intérêts tentent de discerner les besoins informulés des individus en décortiquant leur discours.

Les enquêteurs cherchent à estimer quel est le sujet principal de la demande, de quel type est la motivation qu’elle engendre et quelles sont les impasses à sa réalisation.

Déterminer à quel endroit est la véritable tension pour pouvoir développer une réponse inattendue et  adaptée, voilà un enjeu passionnant de l’innovation. L’insight consommateur cherche donc à créer des ruptures en toute connaissance de cause.

Pour mieux saisir cette démarche, nous allons la replacer dans l’œuvre de Pierre Corneille.

Pierre Corneille (1606-1684), dramaturge français, auteur de pièces telles que Le Cid ou Horace attrape le sujet qui nous occupe de façon presque instinctive. C’est un talentueux créateur d’intérêts.

Ses écrits s’apparentent à d’excellentes énigmes qui contiennent des pistes compréhensibles mais insolubles tout en nous offrant des pics de lucidité. Le schéma de relations mis en place entre les personnages crée à chacun d’entre eux des sujets de préoccupation, des buts à atteindre et des obstacles à franchir. Les éléments sont donc inextricables de l’ensemble et les protagonistes sont en tension permanente.

Horace

Acte III, Scène première

SABINE.

Prenons parti, mon âme, en de telles disgrâces :

Soyons femme d’Horace, ou sœur des Curiaces,

Cessons de partager nos inutiles soins ;

Souhaitons quelque chose, et craignons un peu moins.

Mais, las ! Quel parti prendre en un sort si contraire !

Quel ennemi choisir, d’un époux ou d’un frère ?

La nature ou l’amour parle pour chacun d’eux,

Et la loi du devoir m’attache à tous les deux.

Là où le drame et la comparaison opèrent, c’est que le choix des protagonistes est impossible. Pourquoi ? Parce que les idées en contradiction ne sont pas du même domaine, elles ne relèvent pas du même champ d’action.

Là où Corneille ne fait pas une publicité faussement touchante ou drôle, c’est qu’il n’écrit que ce qui est nous est utile pour comprendre les comportements des héros. Tel un bon interviewer, l’auteur délivre pour chaque personnage des arguments enchevêtrés, qui prennent force et sens au rythme de notre lecture.

Horace

Acte III, Scène IV

CAMILLE.

Parlez plus sainement de vos maux et des miens,

Chacun voit ceux d’autrui d’un autre œil que les siens,

Mais à bien regarder ceux où le ciel me plonge

Les vôtres auprès d’eux vous sembleront un songe.

La seule mort d’Horace est à craindre pour vous,

Des frères ne sont rien à l’égal d’un époux,

L’hymen qui nous attache en une autre famille,

Nous détache de celle où l’on a vécu fille,

On ne compare point des nœuds si différents,

Et pour suivre un mari l’on quitte ses parents :

Mais si près d’un hymen l’amant que donne un père

Nous est moins qu’un époux et non pas moins qu’un frère,

Nos sentiments entre eux demeurent suspendus,

Notre choix impossible, et nos vœux confondus.

Ainsi conduits, nous ne sommes jamais en position d’interpeller le héros simplement et directement en lui disant « Tu n’as pas de problème » ou « Fais donc ceci et tout sera résolu ». 

Le sentiment de perspicacité, l’insight au sens psychologique, intervient pour le lecteur/spectateur à des moments divers. Au milieu d’une longue tirade, à la fin d’un argumentaire, entre deux répliques, quelques lignes nous font accéder un peu plus loin dans la résolution de problème. Nous n’avions pas vu la situation sous cet angle. 

Horace

Acte IV, Scène VII

SABINE.

Cherche pour t’imiter des âmes plus parfaites.

Je ne t’impute point les pertes que j’ai faites,

J’en ai les sentiments que je dois en avoir,

Et je m’en prends au sort plutôt qu’à ton devoir ;

Mais enfin je renonce à la vertu romaine,

Si pour la posséder je dois être inhumaine ;

Et ne puis voir en moi la femme du vainqueur

Sans y voir des vaincus la déplorable sœur.

Prenons part en public aux victoires publiques ;

Pleurons dans la maison nos malheurs domestiques,

Et ne regardons point des biens communs à tous,

Quand nous voyons des maux qui ne sont que pour nous.

Personne n’est sauvé, la pièce continue mais il délectable d’avoir compris quelque chose en même temps que les personnages et non pas avant eux. Pierre Corneille met donc en place de bout en bout une stratégie de communication sensée, puissante, qui exprime ses enjeux dès le départ sans rechercher un effet « waouh » à l’économie. 

Certes, l’auteur répond aux besoins qu’il a lui même créés. Cependant il le fait de sorte qu’aucun élément ne soit superflu et qu’ensemble, le produit fini soit manipulable et infiniment interprétable.

Dernière prouesse, la forme. Pierre Corneille écrit en alexandrins, soit, à chaque retour à la ligne, des vers de 12 pieds qui riment généralement par paire de deux.  L’auteur va donc jusqu’à nous offrir des insights qui s’apparentent à des punchlines. Les phrases sont émotionnellement fortes, cinglantes, signifiantes et de plus dotées d’une rythmique.

Le Cid

Acte III scène III

ELVIRE

Mais vous aimez Rodrigue, il ne peut vous déplaire.

CHIMÈNE

Je l’avoue.

ELVIRE

Après tout que pensez-vous donc faire ?

CHIMÈNE

Pour conserver ma gloire et finir mon ennui,

Le poursuivre, le perdre, et mourir après lui.

Ces punchlines concentrent les états et les actions qui ont traversé les personnages : Elles sont juste à propos, tout comme leur auteur.

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