Définition des biais cognitifs : les raisonnements humains ne sont pas des raisonnements rationnels
De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de biais cognitifs ?
Dans les années 70, Daniel Kahneman et Amos Tversky, deux psychologues cognitivistes spécialisés dans la théorie des jeux et dans les mécanismes de prises de décisions tentent de comprendre pourquoi les humains prennent des décisions irrationnelles.
Le sujet est assez nouveau voire subversif à l’époque puisque la majorité des grandes théories économiques avait alors tendance à considérer les humains comme des individus rationnels.
Prenons un exemple : vous achetez une voiture. Les économistes avaient tendance à penser que votre comportement était rationnel, c’est à dire fondé sur une décision éclairée. En tant qu’acheteur, vous prenez de l’information et vous tentez de maximiser vos chances. Par exemple, vous allez comparer la consommation de carburant des deux voitures et vous allez avoir tendance à pencher vers celle qui consomme le moins. Ou bien, vous allez évaluer l’impact social de votre nouvelle voiture et vous allez avoir tendance à privilégier la voiture qui vous donne une bonne image et qui fait de vous un bon parti aux yeux des voisins.
Dans tous les cas, la décision est considéré comme « rationnelle » puisque vous avez pris de l’information et vous avez tenté de parier en suivant des critères objectifs de production. Vous vous êtes inscrit dans un référentiel structuré afin de prendre la décision la plus logique et la plus efficace possible.
À cela Khaneman et Tversky vont apporter deux nouveautés classiques de la théorie des jeux :
- Tout d’abord un référentiel rationnel, ça n’existe pas : une prise de décision est toujours un pari, une appréciation et on n’a jamais accès à la vérité en tant que telle. Les scientifiques le savent bien : pour paraphraser Marc-Aurèle, « Tout ce que tu vois, est une perspective, pas la réalité. Tout ce que tu entends est une opinion, pas un fait ». Il n’y a donc pas de décision rationnelle à proprement parler. Même chez les scientifiques, il n’y a qu’une méthode, la méthode scientifique, qui tente de sortir de la croyance pour se rapprocher de la vérité afin de construire des savoirs. Mais, même cette méthode, ne garantit pas qu’on est dans le vrai ou qu’on est rationnel : la méthode scientifique est une tangente : on se rapproche, on remet en question la vérité à chaque génération. Et il suffit de voir comment les scientifiques ont des chapelles ou bien des opinions politiques marquées pour voir que même eux n’échappent pas aux croyances. La vérité est une effort constant disait Chomsky.
- Le second apport de Kahnemant et Tversky est de considérer que la pensée est potentiellement perclue de biais cognitifs. Les tenants de la Psychologie évolutionniste considèrent, en effet, que la nature nous aurait dotés de « biais cognitifs » afin de penser plus rapidement dans les situations de danger. Pour le dire autrement, et c’est ce que Kahneman appelle le « thinking fast« , le cerveau dispose de deux façons de penser : les processus automatiques et les processus contrôlés. Les processus contrôlés correspondent à ce que vous appelez traditionnellement « la pensée ». C’est à dire, vous, qui pensez, rationnellement, dans votre tête avec la petite voix qui vous parle et qui essaie de résoudre un problème de mathématiques. Et les processus automatiques qui sont, comme leur nom l’indique, des sortes mécanismes de pensée en pilote automatique et qui résolvent les problèmes en suivant des heuristiques, des chemins de traverse, des raccourcis qui permettent d’évaluer rapidement une situation sans devoir passer par les circuits longs de la pensée rationnelle. En effet, les évolutionnistes pensent que la pensée rationnelle est lente et vous aurait donc coûtée la vie face à un prédateur. La pensée rationnelle est bonne sur le long terme pour construire des outils par exemple. Mais c’est un effort coûteux et il vous faut aussi une pensée rapide, plus intuitive, pour gérer les problèmes quotidiens et immédiats.
Les biais cognitifs : une évaluation intuitive et rapide de la réalité dans un référentiel de survie
Afin de vous permettre d’évaluer une situation de façon rapide, c’est à dire sans perdre trop d’énergie tout en atteignant un résultat satisfaisant, la nature nous aurait donc « pré-câblés », nous et les autres animaux, avec des sortes de schémas de pensée en pilote automatique et qui nous permettent de nous tirer avantageusement de la plupart des situations.
Ainsi, ces biais cognitifs recouvrent tous les domaines de la survie :
- Capacité à détecter le « bizarre »
- Capacité à repérer les défauts
- Capacité à détecter le changement
- Capacité à reconnaître ce qu’on a déjà vu
- Capacité à renforcer nos propres croyances
- Capacité à préférer son entourage proche
- Capacité à combler le manque de sens
- Capacité à simplifier les données complexes
- Capacité de généralisation
- Capacité à coopérer en utilisant l’empathie
- Capacité à agir vite
- Capacité à décider sur l’immédiat de façon non ambigüe
- Capacité à finir les tâches dans lesquelles on a déjà dépensé de l’énergie
- Volonté de minimisation des erreurs
- Justifications à postériori
Wikipedia fournit ici un codex assez bien détaillé des différents biais.
Épistémologie des biais cognitifs : les biais cognitifs ? Une bonne chose ou une mauvaise chose pour l’intelligence humaine ?
Sur ce point, deux chapelles s’affrontent :
- La chapelle de la stratégie des jeux, celle de Kahneman et Tversky développe une vision un peu « pessimiste » de l’individu qui pose que ce dernier n’étant pas rationnel, il ne prend pas toujours les meilleures décisions logiques. On pourrait dire que cette école considère que les biais cognitifs sont « néfastes » aux processus logiques. Le pré-câblage dont la nature nous aurait doté lors de l’évolution serait inadapté au monde moderne et nous amènerait donc à commettre des erreurs dans la vie de tous les jours en prenant des décisions biaisées et inadaptées. Par exemple, un policier serait naturellement poussé à arrêter au faciès à cause du biais de préférence pour sa propre ethnie. De même, un recruteur pourrait préférer une personne « belle » plutôt qu’une personne « moins belle » en raison du biais de préférence pour la symétrie et parce que la beauté produit plus d’empathie et de désir. Cette école considère donc, non sans raison, que la caractérisation de ces biais est une chose importante pour tenter de limiter leur influence au profit d’un raisonnement plus logique. Ainsi, doit-on par exemple s’assurer qu’un juge ne juge pas une affaire sur la base de biais cognitifs mais bien sur la base de preuves tangibles et matérielles. Ce qui est d’autant plus important que ces processus sont inconscients et que nous actons les biais cognitifs sans nous en rendre compte.
- À l’inverse, la chapelle de Gigerenzer considère, de façon optimiste, que ces biais ne sont que des heuristiques qui permettent à notre intelligence de trouver des angles d’attaque lorsque nous faisons face à des problèmes. Ils sont importants parce qu’ils font de nous des humains et parce que la nature les a sélectionné avec soin. D’autre part, ces biais ne sont pas définitifs puisqu’ils ne deviennent prégnants que lorsque les ressources cognitives manquent. En effet, les biais cognitifs sont mis en oeuvre lors de prises de décision rapide mais les individus ne se résument pas à ces biais cognitifs. Talleyrand avait coutume de dire : « Les méthodes sont les maîtres de nos maîtres ». En clair : une personne qui a le temps nécessaire pour réfléchir et qui emploie de bonnes méthodes, la méthode scientifique ou le discours platonicien par exemple, peut s’extraire progressivement de ses premières perceptions intuitives pour mener un raisonnement correct. Encore faut-il lui laisser le temps et lui donner le bon fil de méthode à suivre.
Les biais cognitifs : une perception liée au système de productivité économique
Personne ne veut jamais parler de politique parce que cela oblige les gens à dévoiler leurs désirs, leurs camps et leurs passions mais pourtant la politique est l’essence de l’humanité, c’est l’organisation de la cité et même en science elle est là, partout, toujours et tout le temps.
Les sociétés humaines sont composées de groupes contradictoires qui se bousculent, luttent et se déchirent et il est toujours important de replacer un sujet dans le champ politique pour comprendre ce qui l’anime.
Dans notre cas, les biais cognitifs sont des outils et en tant que tels, ils servent la stratégie de groupes antagonistes. Il nous faut donc comprendre qui ils servent pour comprendre à quoi ils servent : un outil n’existe jamais tout seul dans les nuages, il est le moyen d’un groupe qui s’en sert pour arriver à ses fins.
D’ailleurs, ce qui est amusant, c’est comme un comble : les biais cognitifs sont eux-mêmes les victimes de biais dans la façon dont les société les voit et les utilise.
Il existe aujourd’hui, à mon sens, du point de vue de la sociologie et de la philosophie politique, 3 angles à considérer.
Les biais cognitifs signent une peur panique de l’erreur dans un système Tayloriste
Premier angle, la peur de l’erreur : dans un système de plus en plus productiviste, de plus en plus tactique au détriment de la stratégie, de plus en plus technique au détriment de la pensée (Philippe Baumard, dans son livre le vide stratégique, en parlera bien mieux que moi), l’erreur est de moins en moins acceptable. Il faut que les usines tournent, il faut que la production avance, il faut que l’innovation « délivre » selon le néologisme anglais. Mais il ne faut en aucun cas qu’il y ait de crise ou de baisse de production. La crise n’est pas une option, la crise n’est pas pensable. Cette vision néolibérale en gestation depuis les années 20 n’est arrivée à pleine maturité que très récemment, depuis le début des année 80. Elle n’a, au fond, qu’une 40 aine d’années. Encore, dans les années 70, il était possible de penser et de créer. Les métiers du luxe vous disent par exemple : « on n’attendait de nos shooting photos qu’une ou deux photos réussies, des photos d’art. Aujourd’hui, il leur en faut 42 par shooting, sans vision, totalement contrôlées par la marque, le photographe n’est qu’un exécutant dont la vision ne compte pas, un ouvrier spécialisé. On fait juste du shooting produit pour vendre, pour les actionnaires. Il n’y a plus de designers à la tête des maisons, que des banquiers. »
L’idée ici n’est pas de dérouler un pamphlet contre le capitalisme, d’autres s’en chargent déjà fort bien, notre métier en tant que psychologues et sociologues et simplement de regarder les faits : l’erreur est devenue un problème. Moins de temps, plus de ventes, pas d’erreurs acceptée. Le modèle Amazon en somme. Je vous laisse consulter les nombreux livres de confrères érudits qui existent sur le sujet de l’hyper-croissance, à commencer par Quinn Slobodian avec son livre les Globalistes ou bien encore Mathieu Van Criekingen avec sa délicieuse analyse de la gentifrication.
Comprendre les biais cognitifs n’est donc pas de la science dans ce référentiel, il ne s’agit pas d’en délivrer l’humanité, mais bien plutôt de s’assurer que l’ouvrier commet le moins d’erreurs possible : l’idéologie des biais cognitifs est une nouvelle forme de Taylorisme : on s’assure que vous pensez bien pour que vous travailliez bien. En d’autres termes, peu importe votre épanouissement personnel, on vous libère des biais cognitifs non pas pour vous mais pour mieux servir l’organisation. Thierry Jobard en parle très bien dans son essai Contre le développement personnel.
Pourtant, l’erreur est saine dans un système : c’est elle qui permet de comprendre comment il marche. En se tapant dans le mur, on comprend où il se trouve.
Les biais cognitifs sont le nouveau nom de l’influence de marque. Au détriment du marketing noble et intelligent, celui qui cherche à fournir de la valeur.
Deuxième angle : l’influence. Le biais cognitif est le nouveau nom de l’influence. Combien de jeunes markéteurs se vautrent dans des publications du type, je cite « Manipuler les utilisateurs pour les convaincre d’acheter tout ce que vous voulez à l’aide des biais cognitifs ». Alors, des fois, c’est un peu plus subtil mais, en règle générale le fond est le même : en comprenant l’endroit où les usagers sont « faibles », on va pouvoir rentrer, on va pouvoir les « violer », on va pouvoir les forcer, ces moutons et leur faire le portefeuille. Herbert Marcuse aurait parlé de « mobilisation méthodique des instincts humains pour les rendre dirigeables dans un contexte marchand ». Et cela pose plusieurs problèmes :
- Celui de l’intention de ces jeunes markéteurs : on n’est clairement pas sur du markéting. Il ne s’agit pas de comprendre le marché pour saisir comment le servir mais juste de forcer la porte pour vendre un peu plus sans se soucier des conséquences. On est sur de l’influence, pas sur du markéting. Avec tous les pires travers de l’influence bas de gamme de ces youtubeurs qui vendent de l’immobilier à Dubaï.
- Celui de la compétence de ces jeunes influenceurs qui s’improvisent psychologues. Il n’y a pas de notre part, en tant que psychologues, une opposition bête et frontale. Il y a plus une question que nous adressons à ces jeunes : est-ce que le fait d’avoir lu la posologie d’un médicament sur Doctissimo fait de vous des médecins ? Est-ce qu’avoir compilé trois données sur les biais cognitifs fait de vous des Psychologues ou des Sociologues ? Avoir des données structurales (une liste d’ingrédients) ne signifie pas que vous savez les utiliser de façon fonctionnelle (pour faire une recette). Il vous manque la pratique, l’éthique, le contexte intellectuel plus large, la méthode… Et puis, arrêtons de tourner autour du pot, les Sciences Humaines ne sont pas votre métier. Vous n’êtes donc pas en mesure de conseiller correctement vos clients : vous vendez la vitrine sans savoir comment ça marche. Et vous allez leur faire commettre des erreurs.
- Celui des conséquences pour les marques : je vous renvoie à notre article sur le neuromarketing. Les humains ne se résument pas à des biais cognitifs, ils ne sont pas manipulables à long terme, ils vous voient venir, le marché s’éduque et comme vous les avez manipulés, ils vont revenir – avec raison- avec des fourches et des torches.
- Et le dernier problème, c’est que ces nouveaux discours sont très difficiles à désamorcer : en effet, comment déconstruire le discours de jeunes gens qui se surnomment sur internet « Markétueur » ou « Sharketeur » et dont la logique même repose sur un sophisme. Les prémices de leurs raisonnements sont erronés (les biais cognitifs servent à vendre et à pousser les utilisateurs dans le sens qu’on veut pour satisfaire son appétit d’argent) et sur ces axiomes erronés ils construisent tout un raisonnement justificatif à postériori avec les pires arguments possibles du moment que ça sert leur cause. Mark Twain disait : « Ne vous abaissez pas à discuter avec des gens stupides, ils vous entraîneront à leur niveau et vous battront d’expérience ». On est complètement dans cela avec ces faux markéteurs. Pour reprendre Simone Weil, la philosophe : « ce qui compte, pour eux, ce n’est pas la vérité, c’est d’avoir raison ». Et pour reprendre Guy Debord : dans la société du spectacle, ce qui importe, c’est d’être connu. Les diplômes ne comptent pas sur TikTok et Instagram…
Les biais cognitifs et leur avatar, le nudging, sont le nouveau nom des sociétés disciplinaires et des sociétés de contrôle :
La notion de société disciplinaire apparaît dans les années 70 dans les écrits de Foucault et Deleuze.
Pour dégrossir rapidement le concept, on pourrait dire qu’un état tend à rechercher la gouvernabilité de ses citoyens. Au sens de Marx, un pays est constitué de groupes antagonistes et l’état va tenter de contenir et de maîtriser l’ébullition de ses constituants populaires afin d’éviter que le pays ne se déchire et ne tombe en morceaux.
Évidemment, Foucault n’est pas naïf et se pose dans ce contexte la question de savoir qui est vraiment l’état et de qui il sert les intérêts : la population ? La classe dominante ? L’élite ? L’administration ?
Mais dans tous les cas, des outils de coercition vont être mis en place : police, justice, lois, amendes, médias…
Ainsi, dans les sociétés disciplinaires, typiquement, celles de Napoléon, les gens sont placés dans des endroits fermés afin d’être encadrés : école, armée, hôpitaux, prisons, ateliers, usines…
Mais Deleuze pointe que ces sociétés disciplinaires atteignent leurs limites au XXième siècle : en effet, enfermer les gens pour les diriger ne sert plus à rien, au contraire, c’est contre-productif. On discute dans les écoles, on fait grève dans les usines, on s’organise dans les ateliers… En enfermant les gens au même endroit, on les amène à se parler.
Selon Deleuze, l’état bascule alors des sociétés disciplinaires napoléoniennes aux sociétés de contrôle à l’intérieur desquelles l’influence compte plus que l’enfermement : inutile de placer les gens en prison si on peut les influencer par les médias (Cf. Guy Debord et la société du spectacle) ou bien si on peut les contrôler en modifiant l’organisation de la société. Par exemple, si tout le monde est en confinement et en télétravail, il est beaucoup plus difficile aux gens de se parler et de s’organiser. On les isole, on les désorganise et d’ailleurs, ils deviennent dépressifs.
Dans ce cadre, les biais cognitifs deviennent une stratégie d’influence et de contrôle :
- Quand la RATP vous rappelle sans arrêt à bord des métros que vous êtes entourés de pick-pockets et que le Covid rode encore, elle entretien un sentiment d’insécurité. Volontairement ou non.
- De même, un soignant qui refuse un changement d’organisation n’est pas « épuisé » ou bien « intelligent dans son opposition, parce qu’il connaît son métier », il a « un biais de résistance à la conduite du changement » qu’il faut dépasser pour qu’il accepte de se soumettre.
On voit bien ici comment le biais cognitif est en réalité l’autre nom de la résistance à abattre. Barbara Stiegler en parle très bien dans ses conférences.
Biais cognitifs et nudging : pourquoi souhaitez-vous tant les utiliser ? Qu’est-ce qui vous attire si fortement dans leur principe ? La raison : l’échec de vos stratégies commerciales
Sur l’ensemble des études que nous menons en interne, nous nous rendons compte que l’idée du biais cognitif surgit toujours chez les clients au même endroit et au même moment : quand vous êtes en échec.
La réponse a toujours la même forme : « je me suis cassé.e la tête sur le problème dans tous les sens sans jamais arriver à le résoudre. Les clients n’ont pas de porte d’entrée. On n’arrive pas à les convaincre. La seule arme qui me reste, c’est le nudging pour forcer un peu les choses ».
On voit bien que les chefs de projets qui souhaitent avoir recours au nudging via les biais cognitifs le font toujours :
- Parce que c’est votre ultima ratio regum : devise gravée sur les canons de Louis XIV signifiant « Le dernier argument des rois ». Quand toutes les pistes diplomatiques ont été épuisées, il ne reste que le son du canon.
- Parce que vos supérieurs ne vous ont pas associés à la stratégie et parce qu’en tant que simples exécutants, vous êtes obligés, en bons soldats, d’aller vous coltiner sur le terrain une stratégie qui ne marche pas mais sur laquelle vos n+1 vous poussent. Et, vu que ça ne marche pas, la seule option qui vous reste sur la table, c’est le nudging. Vous êtes pris entre deux feux.
Vous disposez alors de deux marges de manoeuvre :
- Première solution : venir, nous voir. Nous, c’est notre métier d’écouter les besoins réels des usagers et de vous donner des conseils pour vous faire changer de cap stratégique. Inutile de forcer les utilisateurs à l’endroit où ils n’ont pas besoin de vous. En tant que markéteurs, vous êtes là pour leur donner de la valeur et pour servir leurs besoins et leurs nécessités. Plus vous allez forcer, plus ils vont résister. Et ils ont raison de le faire. Nous, en tant que professionnel de l’écoute client, nous allons probablement découvrir des pistes de services que vous n’aviez pas vues, parce que c’est notre métier de les voir et de vous réconcilier avec les usagers.
- Seconde solution : ces données vont précisément vous aider à convaincre votre hiérarchie que leur stratégie n’est pas bonne, qu’elle s’oppose à la réalité du terrain, qu’elle brutalise les utilisateurs et qu’elle se doit d’ être changée.
Alors, du coup, quel bon usage peut-on faire des biais cognitifs et du nudging ? Le négocier démocratiquement.
Si vous avez lus nos articles, vous savez bien qu’à l’agence, nous ne sommes absolument pas partisans du nudging.
Pour nous, le nudging est le signe de l’échec de votre écoute client : il est le signe que, n’ayant pas bien écouté vos utilisateurs, vous persistez dans votre volonté de poursuivre sur votre route, quitte à leur passer sur le corps. Et ils se défendront avec raison.
Et le nudging est également pour nous le signe d’une absence de travail d’imagination : le signe que vous n’avez pas pris le temps de penser à une façon plus diplomatique et plus enjouée de vous lier à vos clients.
Mais nous ne vous jetons pas la pierre : après tout quand on met des dos d’ânes près des écoles, on nudge. Et c’est bien. Pourtant, on manipule… Alors où est la limite éthique ?
Pour nous, cette limite se trouve dans la prise de décision consciente et concertée, démocratique : quand l’Australie bannit des bouteilles de bière qui, jetées dans le bush, effondrent une population de scarabées en raison d’un biais cognitif qui les poussait à s’accoupler avec les packaging plutôt qu’avec leurs femelles, on prévient un problème grave. Et c’est bien.
Mais, dans le même temps, on ne demande pas l’avis des scarabées en question. Aux yeux des politiques publiques, ils ne restent « que des animaux » qu’on considère trop bêtes pour réfléchir par eux-mêmes et qu’on sauve de leur propre bêtise.
Et bien le risque, c’est de faire la même chose avec les humains. Et c’est ce qui se passe la plupart du temps quand des biais cognitifs sont utilisés pour nudger : on retire l’assentiment démocratique. On décide à la place des gens qui seraient trop bêtes pour se sauver eux-mêmes.
La découverte de Kahnemant et Tversky, à savoir que les sujets sont irrationnels, sert de plus en plus à justifier l’idée que les gens seraient bêtes et qu’il faut donc les contrôler.
Mais « irrationnel » ne veut pas dire idiot. Et les gens n’ont pas besoin d’être contrôlés.
Comme le disait Guillaume Dustan lorsqu’il faisait face à Actup durant les années SIDA : « le fait que vous vouliez me protéger de l’épidémie de SIDA, ne vous donne pas le droit de contrôler ma vie et ma sexualité ».
Ce qui fait la différence, c’est quand les dos d’âne ont été décidés par la collectivité. Par assentiment de bon sens, démocratique. Après un vrai processus de réflexion contradictoire pour le bien commun.