« Manger équilibré est devenu un challenge, dans cette perspective, nous, Psychologues, travaillons avec l’Institut du Cancer de Montpellier sur des projets comme Epidaure Market »
Olivier : bonjour Julien, tu es maître de conférences en Psychologie à l’Université Montpellier 3. Tu es également co-directeur du département de Psychologie : tu organises les enseignements des licences et masters à Montpellier et à Béziers. Enfin, tu es l’un des chercheurs du laboratoire Epsylon qui est le laboratoire au sein duquel j’ai fait mes classes et avec qui nous menons aujourd’hui nos recherches utilisateurs. A l’heure actuelle, l’un des grands sujets en termes de santé, c’est évidemment la nutrition et les habitudes alimentaires : les populations européennes, notamment les plus jeunes, sont de plus en plus souvent en situation de surpoids, manger équilibré est généralement un challenge pour des actifs urbains pris dans le rythme effréné du travail et des transports, la junk food est très facilement accessible et les maladies cardio-vasculaires et le cholestérol font l’objet d’une vigilance toute particulière de la part des autorités sanitaires. On pourrait rajouter, comme nous le disions dans notre article précédent sur la traçabilité alimentaire, que certains additifs -dont la toxicité est connue- sont présents dans un certain nombre de produits de grande consommation et que les usagers y sont de plus en plus vigilants. Dans cette perspective, tu travailles avec le centre de prévention Epidaure qui fait partie de l’lCM (Institut du Cancer de Montpellier) dirigé par Florence Cousson-Gélie sur Epidaure Market. Tu veux bien nous en dire d’avantage ?
« Le projet Epidaure Market permet de sensibiliser les plus jeunes aux bonnes pratiques alimentaires »
Julien : bonjour Olivier. Oui, nous collaborons avec le centre Epidaure dont le but est de sensibiliser les plus jeunes aux questions de santé et notamment aux questions de santé alimentaire. Le centre Epidaure travaille avec de nombreuses écoles sur la région Occitanie et il s’agissait à travers le projet Epidaure Market d’éveiller les élèves de primaire, collèges et de lycées aux bonnes pratiques de nutrition.
« Si on veut changer ce qu’il y a dans les placards, il faut commencer par éduquer les consommateurs mais en respectant leur libre arbitre »
Olivier : en quoi consiste le projet Epidaure Market exactement ?
Julien : A l’origine de ce projet, on trouve d’abord une équipe* qui a permis une étroite collaboration entre des membres d’Epidaure, l’Académie de Montpellier et des chercheurs de notre laboratoire Epsylon. Le projet est parti d’un constat assez simple. La plupart du temps, lorsqu’on tente de changer les habitudes alimentaires des consommateurs, notamment des enfants, le format est très injonctif : « n’achète pas ça ! Ne mange pas ça ! Ce n’est pas bon pour ta santé »… Nous ne voulions pas tomber dans ce travers que l’on sait peu efficace, nous ne voulions pas être dans le jugement : il ne sert à rien de vouloir infantiliser les élèves. Plutôt que de les forcer, nous leur avons au contraire proposé une activité ludique. L’idée était de les mettre en situation réelle, devant le fait accompli et de respecter leur libre arbitre en les laissant prendre par eux-mêmes les décisions qui leur paraissaient les plus justes. Cela nous permet, à nous Psychologues, d’évaluer en conditions écologiques (réelles) quels critères permettent aux élèves de vraiment changer leurs habitudes alimentaires et de bien faire le lien entre éducation et santé. Après tout, si on veut changer ce qu’il y a dans les placards, il faut commencer le travail en amont : au niveau de l’éducation des consommateurs.
« Epidaure Market est un dispositif immersif qui permet d’évaluer comment les élèves choisissent des produits dans les rayons des supermarchés et comment on peut les aider à ne pas tomber dans les pièges de la malbouffe »
Olivier : quel dispositif avez vous utilisé ?
Julien : nous avons demandé aux élèves de faire les courses 🙂 Si les courses sont un moment souvent ennuyeux pour les adultes, ça demeure un jeu excitant pour les enfants. Nous avons donc recréé sur grand écran un environnement de supermarché, immersif, avec de vrais rayons, de vrais produits, des annonces, des promotions, des publicités… Et nous avons construit un protocole de test avec différentes conditions pour vérifier nos hypothèses. Par exemple, certains élèves avaient plus de budget que d’autres ou bien devaient acheter des produits pour des occasions différentes (goûter, sortie, anniversaire…). Et nous avons mesuré un certain nombre de paramètres afin de comprendre comment les élèves choisissaient les produits dans les rayonnages et en quoi le dispositif changeait leur perception des achats et leurs habitudes alimentaires. Sur l’instant évidemment mais aussi à plus long terme, 3 mois après par exemple. Il s’agissait vraiment d’un protocole de recherche-action : on créé une expérience grandeur nature, pas confinée dans un laboratoire, pendant laquelle on essaie à la fois de comprendre les choses et de les changer.
Olivier : et du coup ? Quels sont les résultats ?
« Quand on apprend aux élèves quels pièges leurs sont tendus, ils les évitent, plus durablement. Ils changent leurs habitudes alimentaires »
Julien : et bien on s’aperçoit de plusieurs choses. En premier lieu, il y a clairement des biais de choix. Les élèves choisissent sans s’en rendre compte les produits en promotion, ceux pour lesquels ils ont entendu une annonce ou bien encore les produits dont les packaging sont les plus attrayants. Et ce sont souvent les produits de junk food qui sont les plus performants dans ce domaine. La bonne nouvelle, c’est que lorsqu’on apprend aux élèves quels tours de passe passe sont utilisés pour les faire tomber dans le panneau, ils deviennent plus résistants. Ils comprennent ce qui se passe et ils font plus attention, durablement. Cela permet d’entrevoir un impact positif en termes de santé. Par exemple, les élèves se rendent compte par eux-mêmes que pour aller en pique-nique, ils ont acheté tout un tas de choses salées ou sucrées mais pas d’eau. Et ça les fait réfléchir.
Olivier : le dispositif est toujours d’actualité ?
Julien : oui, toujours, il tourne dans plusieurs écoles. Il est devenu portatif et s’exporte maintenant au niveau national. Eton pourrait même imaginer une version type casque de réalité virtuelle pour rendre les choses encore plus immersives.
Ndr : nous vous donnons ici les références de l’article original de l’étude.
Huteau, M.E. Deumié, I. Blanc, N. Bouy, J. Vidal, J. Nguyen, C. Sancho-Garnier, H. Azorin, J-C, Stoebner-Delbarre A. (2013). Développer l’esprit critique des jeunes vis-à-vis de l’influence des publicités sur leur santé : pourquoi et comment ? Education Santé, 290, 3-6.
2 Djoufelkit, Khéla, Berat, Isabelle, Deumie, isabelle, Sancho-Garnier, Helene, Blanc, Nathalie, Vidal, Julien, «Evaluation d’Epidaure Market, un dispositif pédagogique d’éducation pour la santé», La Revue de santé scolaire et universitaire, n° 7, 2016, p. 23-25.