Lorsqu’on lit les blogs consacrés à la relation de marque, on note rapidement quelque chose de surprenant : la plupart d’entre-eux n’attaque le sujet de la relation client que sous un seul angle, celui de la communication. En effet, les articles vont essentiellement parler de campagnes de publicité, de campagnes d’influence, de notoriété, de brand awareness, de brand affinity, de visibilité et d’enquêtes de satisfaction client portant sur des valeurs assez abstraites comme l’amour, la confiance ou la transparence. On retrouve à peu près toujours les mêmes déclarations : « comment devenir un love brand ? », « comment conquérir le coeur des utilisateurs ? », « comment maintenir le lien dans un marché mouvant ? »…
Ainsi, pourrait-on dire que la plupart des articles attrape le sujet de la relation de marque « par le haut », de façon très abstraite : c’est à dire en se demandant comment modifier et ancrer des croyances dans la tête des utilisateurs afin de les pousser à aimer une marque et à lui demeurer fidèle. En substance, on essaie de vous graver dans l’esprit qu’Apple, c’est du luxe, que Nike c’est de l’innovation mode, que Leclerc c’est proche de vous et que Lapeyre c’est du bon matériel. Et pour y arriver, on déploie l’arsenal habituel des outils de communication : les publicités, l’influence, les visuels…
Plus rares sont les articles qui abordent la relation de marque « par le bas », c’est à dire en parlant de l’importance de l’innovation produit et de son impact sur la relation client. Pourtant, quand vous achetez une voiture, Renault ou Citroën peuvent bien vous raconter ce qu’ils veulent, dans les faits, c’est la voiture qui va faire la différence : est-ce qu’elle est pratique ? Est-ce qu’elle tombe en panne ? Est-ce que vous pouvez la garer facilement… Mais les articles sur le sujet sont finalement assez rares alors que le produit est tout de même le point pivot de la relation de marque, sa pierre angulaire, celle sur quoi tout repose : pas de bon produit, pas de relation de marque. D’ailleurs, des acteurs comme Nike et Apple ne s’y trompent pas : leur communication est souvent la résultante du produit, un peu comme un effet secondaire.
Enfin, lorsqu’on regarde le niveau intermédiaire, c’est à dire celui de l’expérience client, tout d’un coup, il y a une sorte de disruption, comme s’il y avait un trou dans la raquette. Les articles sont très nombreux mais les auteurs se mettent à parler de l’expérience client comme s’il s’agissait de quelque chose de substantiellement et qualitativement différent de la relation client. Ainsi, ces articles parlent de toutes les dimensions importantes de l’expérience client (maillage des points de contact comme les supermarchés, réseaux sociaux, sites web, SAV.., conduite à tenir avec les usagers, importance de l’UX, importance des émotions…) mais en soulignant très nettement, comme si c’était une évidence, que l’expérience client ne serait pas de la relation de marque.
En fait, certains articles vont même jusqu’à proposer de doctes classifications expliquant que la relation de marque est dirigée par l’entreprise alors que l’expérience client serait centrée utilisateur et que donc les deux sont antagonistes et se repoussent comme l’huile et le vinaigre. Personnellement, je me méfie des classifications avancées comme une évidence : l’une des premières choses que j’ai apprises à l’université, c’est que les gens qui proposent de longs empilements de classifications, souvent, ne maîtrisent pas leur sujet et classent les choses parce qu’ils ne comprennent pas véritablement comment elles s’emboîtent. D’ailleurs, je ne suis pas le seul à aller dans cette direction. Quelque uns des articles, disponibles en ligne, ont le brio de parler non pas d’expérience client mais de relation de marque « incarnée ». Et c’est cette direction que nous allons suivre ici.
Communication, expérience client, innovation produit : toutes ces dimensions sont de la relation client et font en réalité partie d’un même tout
De notre coté, en tant que Psychologues, nous considérons que détacher le produit et l’expérience client d’une part de la relation de marque d’autre part ne fait pas sens. Il n’y a pas d’un coté une relation client qui serait dirigée par la marque et qui consisterait à faire passer des valeurs de marque abstraites au travers de campagnes d’influence et de communication. Et de l’autre coté, une expérience client et un design produit, plus proches du terrain, qui seraient autonomes et qui n’auraient aucun impact sur la relation de marque.
Voir la relation de marque comme une entité abstraite planant au-dessus du design produit et de l’expérience client est tout simplement faux scientifiquement. L’ensemble de ces dimensions est un continuum et, du point de vue de l’usager, ces représentations sont miscibles et s’intègrent toutes dans un concept plus large de relation de marque. Pour l’usager qui interagit avec votre personne morale comme s’il s’agissait d’une personne physique élargie, le design produit, l’expérience utilisateur et les campagnes de communication ne sont que les différentes strates d’une même interaction.
Pour comprendre, prenons un exemple simple : vous rencontrez pour la première fois un Burkinabé. Plusieurs strates vont se mélanger : une première strate est le corps, la façon de bouger et la voix de la personne en face de vous : ça, c’est le produit. Une seconde strate va se former, c’est l’interaction que vous avez avec la personne et la coloration de la relation que vous allez construire ensemble : cela, c’est l’expérience client. Et, enfin, toutes ces strates inférieures impactent et modifient la couche supérieure d’interaction, la communication : la vision symbolique et haut niveau que vous aviez des africains.
La première fois que vous avez parlé à votre Burkinabé, vous avez interagi avec lui non pas sur la base de sa personnalité réelle mais sur la base des clichés que vous aviez sur la « culture africaine ». Votre vision, peu pénétrante, se limitait alors à un concept vague et global, « les africains ». Mais à présent que vous le rencontrez réellement, votre vision va se raffiner, elle va s’étoffer pour vous faire prendre conscience que vos clichés étaient faux et que « l’Afrique », ça n’existe pas. Les Gabonais ont une culture, les Burkinabés une autre et les Sénégalais encore une autre. Ainsi, la prochaine fois que vous allez rencontrer un Africain, vos clichés auront changés et vos premières impressions seront plus souples et plus flexibles. Vous n’interagirez pas avec l’autre uniquement via les clichés que vous aviez sur son origine mais, de façon plus riche, grâce à l’expérience acquise entre temps dans la réalité.
On voit donc à travers cet exemple, comment communication (haut niveau), expérience client (expérience vécue) et produit (corps physique) ne sont pas séparables mais, au contraire, s’articulent pour former le tissus de l’interaction entre l’usager et la marque. Et tout cela, c’est de la relation client.
L’expérience client : le moment « réel » de la relation de marque
Comme le précisent certains articles en ligne qui ont un peu plus de profondeur que les autres, l’expérience client n’est donc pas qualitativement différente de la relation client et de la communication. Au contraire, l’expérience client, c’est le moment où la communication s’incarne.
Prenons un exemple : les croisières sur la Seine. Lors de notre première visite, à tous, à Paris ou bien lorsque nous recevons des étrangers, l’un des rituels touristiques auquel il nous faut sacrifier, après la tour Eiffel et l’arc de triomphe, c’est bien sûr les croisières en bateau sur la Seine.
La chose est compréhensible : quel moment plus gracieux que de passer sous le pont neuf et vers l’île Saint-Louis bordés de tous les hôtels particuliers et des palais qui ont fait l’histoire de la capitale ?
Pourtant, les croisières sur la seine ne sont pas la meilleure expérience touristique dont on puisse rêver : queue interminable aux guichets d’entrée, foule compacte de visiteurs qui se battent pour les meilleurs sièges, pont supérieur surpeuplé, pont inférieur souvent sordide, assises en plastique usé, gens constamment debout et qui cachent les monuments pour faire des selfies à la perche, mouvements de foule des badauds d’un bord à l’autre parce qu’ils veulent être en première ligne pour photographier les façades, commentaire de visite assez quelconque, brouhaha. Tout est fait pour tuer l’expérience historique et le ressenti luxueux. On a davantage l’impression d’être sur une bétaillère qu’en croisière et on en ressort, honnêtement, un peu incommodé.
Les compagnies de bateaux pourront donc raconter ce qu’elles veulent dans leurs publicités : l’expérience réelle est complètement discordante par rapport à la communication de marque et par rapport au rêve que les touristes ont construit sur Lutèce. Au fond, on les trahit et ils le sentent. Certains s’en accommodent, charmés par les paillettes de la première fois et par la ville lumière et j’imagine que c’est ce sur quoi ces compagnies fluviales comptent : au fond, on n’est pas là pour regarder le bateau. Mais dès la seconde visite, le coté un peu triste de l’expérience vous assaille et on se dit que, tout de même, pour représenter la ville, ‘ils auraient pu faire un peu mieux.
Etre bousculé par des touristes qui vous marchent quasiment dessus pour faire une photo n’est pas le pinacle d’une bonne expérience de visite. Le tourisme de masse tue l’expérience. Et de plus en plus, les touristes réclament, avec raison, des petits groupes plus conscients.
Vous voyez donc que l’expérience n’est pas juste une affaire de parcours client sur une empathy map : l’expérience utilisateur est un moment de vérité. UN tranchant qui tombe.
C’est le moment où l’on confronte l’amoureux aux actes : Oh Romeo, ne jure pas par la lune, l’inconstante lune dont le disque change chaque mois, de peur que ton amour ne devienne aussi variable ! Tenez-vous vos promesses de communication ? C’est l’UX qui le dira.
Satisfaction client : la tentation dirigiste des biais cognitifs
Barbara Stiegler tenait récemment une conférence au cours de laquelle, elles dénonce la dangerosité de l’idéologie des biais cognitifs. Nous partageons à l’agence pleinement et radicalement son point de vue.
Elle précise : « De nouvelles pseudo-sciences (comme le neuromarketing) émergent en pillant des champs réellement scientifiques comme la Psychologie pour dynamiter la liberté des individus. On considère que les gens ne sont pas à même de prendre des décisions rationnelles et qu’il faut les contrôler. Nous sortons des lumières. »
Barbara Stiegle a tout à fait raison : depuis que les écoles de commerce ont redécouvert la Psychologie, nous voyons fleurir quantité de comptes instagram et tiktok expliquant comment manipuler les utilisateurs à l’aide des sciences cognitives.
Mais cela ne se limite pas aux réseaux sociaux, les titres de conférences dans ces écoles sont sans équivoques : « comment vendre, convaincre et manipuler ».
Cela, évidemment, va à l’encontre de toutes les valeurs de la Psychologie et des Sciences Humaines en général qui sont parmi les derniers véritables outils d’émancipation des populations. Ce n’est pas un hasard si la Psychologie subit depuis quelques années de la part des politiques des attaques constantes pour la mettre en coupe réglée.
Cela dit aussi combien la Psychologie est mal enseignée dans les écoles privées puisqu’on laisse croire aux élèves en commerce et en design d’une part que des stratégies directes de manipulation des populations peuvent marcher (ce n’est pas le cas, les gens sont intelligents, ils résistent et encore heureux. La gestion calamiteuse du COVID en France est un exemple de ce genre de bêtises grandeur nature) et d’autre part, cela souligne qu’il n’y a plus dans ces écoles de professeurs qui imposent un principe de réalité : à quel moment s’est on dit que nous voulions vivre dans une société où la manipulation cognitive à grande échelle était devenue la norme ?
Du coup, les élèves laissés à eux-mêmes considèrent la Psychologie non pas pour ce qu’elle est (une tentative de comprendre notre nature profonde) mais simplement comme un autre outil à leur arc : la vassale d’intérêts financiers productivistes. Une autre arme à leur arsenal en somme.
Et je ne leur jette pas la pierre, c’est compréhensible : imaginez-vous vous trouver à la tête d’une société qui doit faire de l’argent pour payer les salaires et les charges et dans certains cas pour rémunérer des fonds d’investissements aux appétits aiguisés et qui vous tiennent dans leur main. Face à un marché mouvant au sein duquel les utilisateurs vous échappent et semblent schizophrènes, la tentation dirigiste roucoule à votre oreille : vos collègues attendent de vous des chiffres et des réponses rationnelles alors autant diriger les utilisateurs là où on le veut plutôt que de les comprendre.
Et au fond, toutes ces histoires de « user generated content » et de fidélisation client avec des relation de marque « user centric » crispent les marques qui ont l’impression de ne plus rien contrôler : les utilisateurs pilotent le navire, super, mais où va-t-on ?
Pourtant, vouloir utiliser les biais cognitifs des gens contre eux ne vous amènera nulle part. Tout d’abord vous apparaissez aux utilisateurs comme cet ami cinglé qui vous invite à sa soirée d’anniversaire mais qui minute chaque moment de la fête en vous imposant de vous amuser à 19h30 et d’applaudir à 19h45. Vous ne laissez pas les gens s’amuser et apporter avec eux leur façon de faire. Ensuite, en les manipulant vous allez créer un bastion de haine en face de vous : les gens s’apercevront que vous les manipulez et vous le feront payer à juste titre.
Utiliser les biais cognitifs de façon dirigiste est donc le signe que vous ne savez pas créer d’expérience de marque et de parcours clients positifs. Votre peur vous fait vouloir contrôler à tout prix plutôt que d’accompagner les usagers.
Comment créer une bonne expérience client, réussie, qui provoque de l’émotion et fidélise les visiteurs : respectez votre client et respectez-vous vous mêmes.
En tant qu’organisateur de soirée, vous pouvez choisir la musique, choisir les boissons et choisir le lieu. Mais vous ne pouvez pas imposer aux gens de s’amuser comme -vous- vous le souhaitez.
Le premier besoin de votre client pour qu’il s’engage et qu’il vous soit fidèle, ce n’est donc pas que vous lui donniez tout ce que vous pouvez sans limite et en levant toutes les contraintes. Au contraire, toutes les études que nous menons au laboratoire pointent dans la direction inverse : c’est comme avec les enfants. Un enfant qui n’a pas de règles et un cadre stable est un enfant fou.
La première chose que vous pouvez faire pour répondre aux attentes de vos clients est d’instituer une règle du jeu.
Prenons un exemple :
- Dans la plupart des compagnies aériennes low cost : le personnel n’encadre pas les passagers. On les sert contre de l’argent (fausseté de la relation de marque) et c’est tout. Résultats des courses : à la sortie, c’est l’émeute. La passerelle de descente n’a pas encore été mise en branle pour s’approcher de l’avion que tout le monde est debout dans la travée, bagages à la main et prêt à s’entre-tuer pour sortir de l’appareil.
- Contre exemple : chez Vueling, le personnel de bord fait descendre les passagers par lots, par tranches de numéros de siège et n’hésite pas à faire respecter les règles de façon nette en bousculant vocalement les passagers : « restez assis s’il vous plaît ! Attendez que votre section soit appelée à descendre ». Résultats des courses, la folie s’apaise, les gens acceptent de patienter, ils se mettent à discuter, ils se calment et la descente ne ressemble pas à une émeute de rue ou à une cour de récréation sortie de sa Majesté des mouches.
Commencez par là : arrêtez de vouloir donner tout et son contraire de façon libérale et inquiète pour vous assurer de l’amour des gens. Vous vous détruisez vous-mêmes et la société à plus grande échelle avec vous. Les usagers, pour une bonne expérience client, vous attendent sur quelque chose de civilisé et de construit.