Lead UX Designers : des métiers encore trop souvent confondus avec un webmaster de luxe ou un graphiste spécialisé dans le maquettage
Même si l’UX design s’est largement imposé dans la sphère professionnelle comme un métier de référence à partir des années 2010 en France, les lead ux designers sont encore trop souvent confondus avec des webmasters de luxe ou bien des graphistes spécialistes du wireframing (le maquettage).
Les formations de lead UX Designers se sont largement structurées ces dernières années mais il n’est pas rare, encore, de voir passer des annonces de sociétés recherchant des compétences UX-UI-Front-Dev-webmaster-traducteur-parachutiste qui témoignent du fait qu’il reste encore beaucoup de monde à évangélisée aux méthodes centrées utilisateur.
Pourtant, les lead Ux designers puisqu’ils portent le titre de designer doivent commencer de se comporter comme tels et se poser, comme tout designer qui se respecte, les grandes questions fondamentales du design. Il faut tirer la discipline vers le haut.
Qu’est-ce qu’un bon design (UX ou pas) ? Une question clef
Voilà une question qui hante tous les jeunes créateurs en herbe auxquels nous enseignons dans les écoles de design : que ce soit aux Gobelins, chez IFA Paris, chez IONIS ou bien chez Sornas.
Qu’est-ce qu’un bon design ? Par où est-ce qu’on commence ? Quelles sont les bonnes méthodes ? Qu’est-ce qu’un bon designer ?
Est-ce qu’être un bon designer se résume à une question de méthode ?
Comment crée-t-on un bel objet ? Comment crée-t-on un bon objet ? Quelle est la différence entre les deux ?
Pourquoi certaines produits sont-ils si iconiques ? Comment les designers qui les ont créés ont-ils fait pour mettre autant de lumière à l’intérieur ? Pourquoi est-ce qu’on aime leur ligne ? Pourquoi a-t-on envie de les posséder ? Est-on capable soi-même de faire aussi bien ?
Les lead UX designers ne sont pas forcément toujours bien formés au design classique
En effet, les Psychologues spécialistes des usages, Ergonomes des interfaces et UX formés entre la fin des années 90 et le début des années 2000 ont participé à inventer ou à moderniser leur discipline au fur et à mesure qu’ils la pratiquait.
Au début des années 200, par exemple, l’ergonomie informatique est encore confidentielle et il nous a fallu beaucoup de ressources et de travail pour arriver à théoriser et faire avancer la pratique.
De plus, à cette époque, nous ne sortions pas des parcours classiques des écoles de design (ENSCI, ENSAD, Boulle…). Nous arrivions sur le marché avec une pratique originale qui rompait avec les pratiques classiques : l’idée qu’il fallait réintroduire l’utilisateur au coeur du design.
À l’époque, des designers stars, certes très talentueux, disaient ce qui était bien en termes de ligne ou bien d’usage mais c’était bien d’abord pour eux. Les usagers n’étaient pas toujours le centre de leurs préoccupations et il n’y a vraiment qu’en urbanisme, à l’université de New Castle par exemple, que j’ai eu l’occasion de voir de façon précoce comment les usagers pouvaient être correctement impliqués dans les designs urbains. Il faut dire que l’urbanisme avait là bas des accointances fortes avec la sociologie.
Pour notre part, en Psychologie et en Ergonomie, ,nous avions des maîtres en construction de processus industriels, en logiques organisationnelles, en stratégie des interfaces et des services informatiques mais, en aucun cas, nous n’étions formés à la maîtrise de la ligne ou de la couleur par exemple.
Et ce vide laissait en nous un sentiment un peu trouble d’amputation quand certaines entreprises, ne comprenant pas notre métier, nous demandaient mordicus de dessiner des choses belles quand notre tâche était de dessiner des choses bonnes. La plupart d’entre nous n’avaient pas levé un stylo depuis l’enfance et nous nous sentions toujours émerveillés devant la capacité de dessin des designers qui eux, avaient suivi « le parcours orthodoxe ». Mais toujours avec ce sentiment un peu amer de ne pas être, pour notre part, « de vrais designers ». Syndrome que l’on retrouve aujourd’hui encore couramment parmi les lead UX designers.
Même si des figures tutélaires comme Don Norman dans des articles comme « Design thinking : a useful myth » dénoncent cette idée en précisant que le designer créatif de façon mystique et inspirée est en réalité un mythe et que nombre d’autres professions tout aussi valables (scientifiques, médecins…) utilisent une pensée design et la pratiquent fort bien.
User researchers et UX designers : une originalité des méthodes design dont il faut savoir tirer parti
En tant que Psychologues, Ergonomes et UX, ne venant pas des filières classiques de design, nous avions cependant un avantage inattendu : la question « qu’est-ce qu’un bon design » restait brûlante, précisément parce que pour nous, les écoles de design n’y avaient pas répondu et que nous redécouvrions le sujet de façon naïve et sans à prioris.
Simplement avec un angle d’attaque et des capacités différentes : le vide nous faisait courir.
Nous avons donc redéfini le design à l’aune non plus seulement des matériaux, des forces, de la ligne, du rythme, des couleurs mais de la psyché humaine et de l’expérience.
En effet, les formations en Psychologie et en Ergonomie sont par essence des formations très épistémologiques. Je me rappelle encore de mon dernier sujet d’examen : « Qu’est-ce que l’ergonomie emprunte aux autres disciplines dont elle est la fille et quelles conséquences pour la pratique ? » Ce recul épistémologique nous forçait à ne pas simplement appliquer la méthode mais également à la réfléchir, de loin, pour voir si elle tenait la route.
Et -oui- Ergonomie et Psychologie dansent ici de pair : l’ergonomie n’est pas une discipline différente de la Psychologie mais juste sa spécialisation. Comme un médecin devient chirurgien cardiaque ou pneumologue, un Psychologue peut devenir ergonome.
3 clefs méthodologiques issues des méthodes centrées utilisateur qui peuvent vous aider à être un meilleur designer
Lorsqu’on analyse la pratique design avec un peu de recul, on la voit alors plus nettement et trois erreurs simples se voient comme le nez au milieu de la figure dans la pratique des chefs des lead ux designers :
- Première erreur, la recherche utilisateur : à mon époque, au début des années 2000, la recherche utilisateur n’intéresse personne, surtout pas en entreprise. Quand je dis que je suis Psychologue, on me rit au nez et on me parle avec force de Freud et de divan. Et on m’opposera la plupart du temps que comprendre les usagers, c’est long, c’est coûteux, ça ralentit tout et surtout, qu’on n’est pas là pour faire de la recherche fondamentale. J’ai donc passé beaucoup de temps au début de ma carrière à éclairer mes collègues non psychologues sur ces sujets et quand à ceux qui ne comprenaient pas l’importance de parler aux utilisateurs, je les renvoie à Ombredane et Faverge qui ouvraient ces questions depuis les années 40 ou bien au Bauhaus qui les abordait quant à lui depuis les années 20. Désolé chers réfractaires que vous n’ayez pas compris les enjeux de votre métier : un bon design commence par une bonne recherche. Alors aujourd’hui, avec l’avènement de l’UX et d’une soi-disant Recherche Utilisateur, ces problèmes ont diminués mais les méthodes utilisées pour faire de la recherche ont de quoi faire sourire : on produit des résultats mais sans queue ni tête et surtout généralement très peu fiables. Ce qui grève toute la suite du projet.
- Seconde erreur : l’ère de la technique. Michaël Valentin en parle très bien dans son livre « Le modèle Tesla », aujourd’hui, nombre de projets sont des projets mondialisés où ce qui compte, parfois uniquement, c’est le résultat et l’optimisation du profit que l’entreprise peut faire à chaque étape mais sans se soucier véritablement de la cohérence interne du projet. Ainsi, pour des raisons de coûts, on pourra produire des oignons dans un pays peu regardant sur les pesticides puis les faire emballer dans un autre pays à bas coût puis les faire transporter par un troisième et enfin les stocker pour des raisons logistiques dans un quatrième pays avant de vous les livrer finalement sur la table. Mais à quoi ressemble l’oignon à l’arrivée : un oignon à 40 centimes certes mais petit, dur, infecté et immangeable et dont on peut se demander comment il peut être à 40 centimes vu le processus qui l’a créé. Certes pas en respectant les réglementations sociales… Le processus est purement logistique mais dépourvu de toute élégance interne.
- Troisième erreur : la rapidité, la production à tout crin. Nous vivons malheureusement dans une époque où l’instantanéité prime. Le travail n’a pas de valeur. La durée non plus. Il faut manger, manger beaucoup, manger vite. Se goinfrer dans une oralité immédiate. Et cela a un effet secondaire, c’est la fainéantise. On passe par dessus la complexité sans vouloir l’embrasser. On préfère la fin au chemin. On n’a pas le temps d’embrasser la difficulté, c’est à dire de la comprendre, de se laisser porter par la magie de ses circonvolutions et de ses âpretés quand pourtant tous les bons produits sont et portent en eux une compréhension profonde et presque définitive d’un sujet. Je penserai ici, par exemple, avec nostalgie aux efforts de l’équipe Apple dont on dit qu’ils ont revus jusqu’à la nature des vis pour arriver à parfaire le sunflower. On renverra sur ces sujets à Moholy-Nagi ou bien encore à Loewy sur la pratique fondamentale du design.