TOP
IFA Paris Fast & Fresh

IFA Paris : inventer les nouveaux métiers de la mode

Khaled : bonjour Jean-Baptiste, tu es le directeur général du campus IFA Paris. IFA Paris est une école de mode fondée par Olivia Chai et Patrick Kouzmine-Karavaief et qui compte aujourd’hui près de 1200 étudiants répartis entre 3 campus. Le premier campus a avoir vu le jour est celui de Paris suivi de près par celui de Shanghai et plus récemment celui d’Istamboul. L’école a donc cultivé depuis ses débuts une vocation internationale : l’idée étant de métisser l’élégance du savoir-faire à la Française avec l’éclatante modernité des nouvelles villes chinoises pour faire émerger des idées et des pratiques nouvelles. Tu veux bien nous en dire davantage ? Quel es ton parcours à l’origine ? Comment es-tu arrivé à IFA Paris ?

Jean-Baptiste : j’ai un parcours finalement assez classique : classe préparatoire, école de commerce… Et pour être honnête, rien ne me destinait réellement à l’enseignement. Mais lorsque je suis allé à Bangkok pour passer mon double diplôme, je suis littéralement tombé amoureux de l’Asie du sud-est. De retour en France, j’ai donc annoncé à mes parents que j’avais déjà réservé mon billet de retour et que je repartais dans la foulée. À l’origine, je pensais n’y rester que le temps d’une année sabatique, en définitive, j’y suis resté 12 ans. J’étais jeune à l’époque, je ne savais pas très bien ce que je voulais faire de ma vie, je savais simplement que rester plus d’un mois sans travailler me taperait sur les nerfs. Je me suis rapidement fait des amis et l’un d’entre eux m’a fait remarquer que mon anglais était de suffisamment bonne facture pour enseigner. Je l’ai suivi. Après tout pourquoi pas ? Et c’est comme ça que, sorti de l’une des plus prestigieuse école de commerce française, je me suis retrouvé professeur de français à Bangkok. Je me suis alors rapidement rendu compte que la façon locale d’enseigner, très traditionnelle, basée sur le par coeur et la répétition n’était pas forcément très efficace. On passait à coté du sens et de la compréhension de la langue. Beaucoup restait donc à faire en matière d’éducation.

De là, je suis parti enseigner le marketing au sein du Raffles Design Institute, l’un des plus gros groupes d’enseignement de Singapour (35 campus à travers l’Asie, coté en bourse…) où j’ai passé l’essentiel de ma carrière. J’ai commencé comme simple professeur, puis directeur pédagogique, directeur académique et je suis ensuite devenu « Academic link advisor », ce qui revient en quelque sorte à être un consultant transverse entre les différents campus. Le Link advisor vérifie aussi bien la qualité du service délivré que la cohésion entre les différentes écoles. Et après avoir passé 8 ans à Bangkok, j’ai finalement été envoyé à Shanghai où se trouve le plus gros campus du groupe afin d’encadrer une centaine d’enseignants et autant de personnel administratif.

C’est à ce moment que l’IFA est venu me chercher. J’ai passé quelques années à Shanghai comme responsable académique et la direction m’a ensuite promu à la tête du campus IFA Paris en plus de la supervision générale des programmes. Mais cela ne m’empêche pas de continuer d’enseigner sans quoi, on perd vite la main sur ce qui se passe sur le terrain, dans la pratique quotidienne.

Khaled : quels sont les enjeux aujourd’hui lorsqu’on dirige une école de mode ?

Jean-Baptiste : les choses ont changé de façon radicale en 15 ans. Lorsque j’ai démarré, nous formions des designers de façon très classique au dessin et aux techniques de production là où maintenant, il est bien plus crucial de former nos élèves à la révolution technologique qui se prépare.

Dans la mode, le métier de designer a changé du tout au tout. Prends Virgil Abloh, par exemple, sa formation n’a rien d’habituel et pour moi, c’est symptomatique de ce qui est en train de se passer : les designers qui vont émerger sur les 10 ans qui viennent devront aussi bien être des designers au sens classique du terme que des experts en informatique. Et je ne parle pas simplement de maîtriser Adobe Photoshop mais bien de savoir se débrouiller avec des techniques comme la modélisation 3D, l’impression 3D, la VR, la découpe laser, la digitalisation des patterns… Le job devient de plus en plus complexe et exigeant.

Khaled : comment vois-tu ton rôle au sein de l’école ?

Jean-Baptiste : tout mon travail consiste à jouer les équilibriste entre le respect de l’héritage des fondateurs, qui voulaient transmettre le savoir-faire français de la haute couture, et les exigences de ce nouveau monde qui s’annonce. Dans ce cadre, nous avons lancé plusieurs initiatives : un programme fashion tech, notre laboratoire technologique, notre startup studio, un programme sur les aspects durables… Tout l’enjeu est de réinterpréter notre héritage au travers de ces nouveaux outils dans la lignée d’Iris van Herpen.

Et puis il y a des aspects plus pédagogiques : le gouvernement soulignait très justement récemment qu’entre le moment où les étudiants commencent leur cursus et le moment où ils reçoivent leur diplôme, 60% d’entre eux travailleront pour des métiers inventés en cours de route et pour lesquels ils n’auront pas forcément été complètement formés.

L’évolution technologique fait partie du jeu : les gens ont la mémoire courte. Ils agissent comme si les technologies venaient de faire leur apparition. Mais en réalité cela fait plus de deux cents ans que nous subissons révolution après révolution et que les gens s’adaptent. De même, nous devons nous adapter en tant qu’institution académique pour éviter de disparaître. Et cela pose des questions intéressantes : devons-nous punir les étudiants de ne pas aller à la bibliothèque alors qu’ils cherchent de l’information autrement et qu’ils nous dépassent dans la maîtrise des réseaux sociaux ?

Dans ce cadre, notre idée est d’aider les étudiant autant que possible. Nous avons par exemple pour projet d’ouvrir un laboratoire sensoriel afin que les élèves soient placés dans une situation où ils doivent envisager les utilisateurs non pas au travers des habituelles données démographiques mais au travers de données émotionnelles et sensorielles comme le toucher ou bien l’odeur. Et puis ces données deviennent de plus en plus cruciales y compris dans la conception des magasins et de leur scénographie.

Khaled : d’autres choses dont il faut tenir compte ? D’autres évolutions à venir ?

Jean-Baptiste : pour ce qui est des choses dont il faut tenir compte, la stratégie évidemment. Nous mettons beaucoup l’accent sur la gestion et la logistique pour éviter de former des créatifs déconnectées de la réalité pratique du métier. Sans sens des affaires, sans sens du marché, sans capacité à analyser les choix des concurrents, nos étudiants n’auraient aucun avenir. Le SEO, le SEM, le lancement d’une campagne multi canal par exemple sont des éléments clefs à ne pas négliger.

Quant aux nouveaux enjeux qui s’imposent, il n’y a pas que la technologie, il y a les aspects durables évidemment. Aspects qu’il faut considérer sous deux angles.

L’hypocrisie du marché tout d’abord : les grandes marques, de fast fashion aussi bien que de luxe, se font toutes les chantres de l’écologie. Mais soyons honnêtes, une vraie politique durable signifie baisse de la production et baisse des dividendes. Comment vont-ils se comporter quand on va leur demander des coupes ? Surtout qu’on voit bien que les items achetés qu’ils soient luxe ou bien fast fashion n’ont pas toujours la qualité qu’on imagine et ont de toute manière un cycle de consommation plus court. Lorsque les maisons de luxe se mettent à faire de la fast fashion avec 6, 7 voire 8 collections par an, comment peut-on se déclarer « sustainable ». C’est une situation qui va être intéressante à voir évoluer, surtout que les réseaux sociaux sont sans pitié aujourd’hui, ils aident à jeter une lumière crue sur des pratiques aussi questionnable que l’incinération des invendus ou le sourcing de matières premières à l’autre bout du monde, ce qui augmente l’empreinte carbone des productions.

L’autre problème, c’est qu’on laisse les consommateurs se débrouiller seuls dans leur processus d’achat. On ne les aide pas à prendre de bonnes habitudes. Mais les choses changent. Certains paradoxes sont en train de tomber. Par exemple, l’industrie a toujours crée beaucoup de frustration : les vêtements qu’on nous vend sont censés nous rendre heureux mais, en réalité, on n’a jamais la bonne taille, le bon poids, on n’est jamais assez musclé, on n’a jamais le bon teint de peau… Mais tout cela change. Les standards et les paradigmes sont en train de voler en éclat. Les gens se réapproprient les vêtements sans plus trop se soucier des standards.

Khaled : le coté international d’IFA Paris aide dans ces domaines ?

Jean-Baptiste : oui, il est très important que les les étudiants soient confrontés très tôt à des perspectives très différentes sur la mode : qu’ils ne voient pas simplement les choses à travers le prisme classique de la haute couture française mais qu’ils découvrent également l’excellence du savoir faire manufacturier turc par exemple : la situation très particulière de la Turquie, entre deux rives, entre orient et occident, produit un métissage culturel fascinant. De même, il est important que les étudiants comprennent la Chine, autant pour son marché du luxe et de la mode qui explose que pour les nouvelles technologies qui y sont mises en oeuvre. Certes, la synchronisation de l’ensemble des campus n’est pas toujours de tout repos, nous passons du temps à gérer la logistique et les différences culturelles mais c’est une richesse pour nos étudiants qui voient aussi bien la créativité de la France que les préoccupations de production du campus chinois. IFA Paris est une école ouverte, à la croisée d’influences diverses et cela se traduit également dans nos engagements associatifs ou bien dans les questions sociales que nous posons souvent frontalement dès leur apparition, comme celle du gender fluid par exemple.

Jean-Baptiste Andreani est le directeur du campus IFA Paris. Il nous parle réinvention de la mode au travers de la technologie et des questions écologique