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The retouch : rendre l’upcycling (surcyclage) efficace pour économiser les ressources dans l’industrie de la mode

Surcylage : 45 milliards de vêtements ne voient jamais le consommateur final et finissent au pilon des invendus

Olivier : bonjour Andrea, tu es la directrice de la société « The Retouch ». Tu es l’une des anciennes élèves du laboratoire Fashion Tech d’IFA Paris. Pourrais-tu nous expliquer le point de départ de ton projet d’upcycling (surcyclage) ? Qu’est-ce que le surcyclage et pourquoi est-t-il un enjeu majeur pour l’industrie de la mode et pour lutter contre le gaspillage au niveau environnemental ?

Andréa : Le problème de l’upcycling peut s’énoncer à partir de quelques chiffres simples : mondialement, près de 30% des vêtements qui sont produits ne sont jamais vendus. Soit 45 milliards de vêtements qui restent sur le carreau. En France, ce chiffre est d’environ 5 à 10% soit 150 millions de vêtements qui n’atteignent jamais le consommateur et qui finissaient généralement au pilon.

Heureusement, depuis janvier 2022, une loi anti-gaspillage oblige les entreprises à valoriser leurs invendus. Mais les solutions de valorisations restent finalement assez limitées : soit les entreprises donnent les vêtements inutilisés, par exemples à des oeuvres caritatives. C’est l’option la plus répandue. Soit les marques se tournent vers les soldeurs qui vendent leurs produits moins cher, la plupart du temps à l’étranger et assorti d’une interdiction de vente sur le territoire afin de préserver leurs parts de marché. Ainsi, les vêtements inutilisés reprennent-ils la route pour être déstockés sur les marchés asiatiques ou bien africains.

D’une façon ou d’une autre, trop de vêtements sont produits et trop peu sont consommés : on tombe dans l’illustration parfaite du gaspillage.

Cependant, nous ne jetons la pierre à personne : les entreprises de mode doivent composer avec des contraintes extrêmement fortes, qu’il s’agisse des variations de la demande, du sourcing ou bien du système de production. Il est très difficile, pour les acteurs de la mode, de fonctionner en dehors des schémas établis qui sont les seuls aujourd’hui qui permettent une certaine rentabilité. Personne ne souhaite gaspiller mais le système, au global, pousse vers des comportements peu écologiques.

Nous avons commencé par un service de retouche aux particuliers pour basculer progressivement vers le B2B

Olivier : comment avez-vous démarré ?

Andréa : à l’origine, nous avions construit une entreprise autour de la notion de retouche. Il s’agissait de donner une seconde vie aux vêtements : les gens soit se lassent de leurs habits, parce que la mode change, soit, quand ils y tiennent réellement, ils sont parfois obligés de s’en séparer parce que les vêtements s’usent.

En proposant un service de retouche, nous faisions déjà du surcyclage en donnant une seconde vie aux vêtements ou en les améliorant.

Mais notre système de retouche était difficile à mettre à l’échelle : les usagers devaient aller sur notre site internet, prendre leurs mesures eux-même, nous faire parvenir leurs vêtements… Ce n’était pas forcément pratique et pour ce genre de prestation, les gens préfèrent toujours le face à face. De plus, le covid est passé par là, réduisant les possibilités d’échange mais aussi les besoins d’apparence sociale et d’achats de vêtements.

Aussi, nous avons progressivement délaissé le B2C pour basculer vers le B2B. D’abord auprès de marques de location de vêtements pour qui la retouche est une nécessité structurelle et qui l’intègrent de facto dans leur modèle économique. Et par la suite, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait en fait beaucoup de demandes. Chez toutes les marques que nous croisions, Le Closet, Celio, le Rouge, le problème était le même : comment faire de l’upcycling avec les vêtements et comment éviter le gaspillage ?

Nous avons aussi réalisé que la loi et les consommateurs poussaient de plus en plus les marques a prendre leurs responsabilités dans la revalorisation des invendus. L’idée est d’arrêter de les considérer comme de simples déchets dont on se débarrasse mais de leur redonner une utilité dans un système vertueux. C’est une démarche intellectuelle qui est de plus en plus présente dans les entreprises.

Et c’est ce qui nous a poussé à nous lancer dans une activité de revalorisation de déchets textiles dans le domaine des invendus des marques.

Le marché ne cherche pas à upcycler des vêtements existants mais à créer de nouveaux vêtements à partir de matériaux recyclés ou durables

Olivier : quel service apportez-vous aujourd’hui ?

Andréa : le constat que nous avons posé est qu’il y avait un problème de sourcing. Il ya d’un coté des marques qui souhaitent arrêter de gaspiller et upcylcer les vêtements plutôt que de les donner ou bien les solder. Et il y a de l’autre un gigantesque stock d’invendus. Mais aucun lien pratique entre les deux.

La question ets un peu la même que pour le gaspillage alimentaire. Nous n’avons pas les mêmes contraintes que dans les réseaux de distribution de nourriture évidemment (chaîne du froid, dates de péremption…) mais au fond, il s’agit dans les deux cas d’une question de logistique : savoir où sont les ressources, ce qu’on peut en faire et comment les distribuer.

En effet, le problème actuel du surcyclage, c’est qu’il prend le problème à l’envers, à rebrousse poil du marché. 

La plupart des spécialistes de l’upcycling, aujourd’hui, partent d’un vêtement existant et se demandent comment ils vont pouvoir l’améliorer. Or, ce n’est pas du tout le problème des créateurs. Les créateurs, eux, souhaitent réaliser un vêtement neuf et se demandent où ils vont bien pouvoir trouver la matière première.

Le marché ne part pas d’un vêtement existant à améliorer mais d’un nouveau concept de vêtement à construire à partir de zéro. Du coup, en demeurant dans une vision d’upcycling classique, on diminue très largement l’impact écologique qu’on peut avoir sur le gaspillage. Il faut arrêter de voir les invendus comme un déchet ou un pattern de vêtement dans lequel on serait piégé, il faut les voir comme une matière première.

L’algorithme de notre plateforme de sourcing permet de comparer le patron du créateur avec le patron du vêtement existant pour savoir où la matière première peut être prélevée afin de faciliter l’upcycling

Olivier : quels sont les défis à surmonter aujourd’hui pour réaliser votre vision ?

Andréa : au début, notre démarche était très artisanale. Nous allions dans les stocks, nous ouvrions les cartons, nous faisions l’inventaire tee-shirt par tee-shirt, pantalon par pantalon des vêtements qui étaient disponibles. Mais très rapidement, nous nous sommes rendus compte que ce procès ne pourrait pas tenir : c’était irréalisable à l’échelle industrielle. Nous ne pourrions jamais inventorier les quantités nécessaires pour les marques : le temps d’analyse des vêtements, des matériaux utilisés, des empiècements… tout cela prenait un temps inconsidéré.

Nous sommes donc passés d’un simple excel où nous essayions d’identifier les différents vêtements, les caractéristiques qui pourraient nous intéresser et les compositions à un outil qui nous permet d’agréger rapidement les données sans passer par la case inventaire item par item, à la main.

Nous prenons directement les données là où elles sont, chez les marques, dans les fiches produits, et cela nous permet de répertorier très rapidement les compositions, les couleurs, les tailles et les visuels des vêtements. La base de données est ultra qualifiée et permet de décrire entièrement la composition d’un vêtement : sa surface, sa couleur…

Et le fait d’avoir cette base de données qualifiée permet d’ouvrir de nouvelles perspectives : un créateur qui souhaite inventer un nouveau vêtement peut utiliser les invendus comme stocks de matière première, voir où la matière d’un vêtement existant peut être intéressante à récupérer, quantifier les stocks disponibles, les localiser et faire le lien avec ses données de CAO et ses patrons.

Les créateurs peuvent se dire « Voilà mon patron de départ, je vais challenger les stocks pour faire le lien entre mon besoin textile, les différents empiècements que je souhaite réaliser et le capital textile qui est détenu dans les invendus.

Notre travail, c’est alors de faire la comparaison entre les besoins du patron et le surfaces de tissus disponibles dans les invendus : en effet, un vêtement, un projet de vêtement, c’est juste une suite d’empiècement. Chaque empiècement a une surface. Et, aujourd’hui, avec un algorithme de placement, il est très simple de faire la comparaison des formes pour faire rentrer un patron dans un patron.

En somme, on pourrait dire que nous nous fichons de la coupe initiale, nous ne cherchons pas à transformer le vêtement, juste à récupérer le maximum de tissu possible. Nous identifions les zones à prélever et nous prenons l’empiècement qui correspond dans la manche ou dans la jambe arrière droite, par exemple, d’un vêtement existant.

Nous visions deux marchés : celui de l’upcycling et celui du don

Olivier : quelles perspectives aujourd’hui pour vous ?

Andréa : un marché qui s’ouvre. 

Il y a évidemment la loi sur l’interdiction de la destruction des invendus qui va amener beaucoup de volume : on a parle de 20.000 tonnes de textiles en France qui étaient détruites, c’est l’équivalent de 50 millions, 60 millions de jeans, pour se donner une idée.

La seconde chose qui arrive, c’est la taxe économique européenne qui va commencer progressivement à se mettre réellement en place à partir de cette année ou de l’année prochaine et qui va générer des surcoût, incitants de facto les marques à être davantage responsables.

Enfin, notre action ne se limite pas au sourcing et à la récupération de matière textile sous un angle écologique : en effet, notre base de données permet d’éviter de jeter d’une autre manière. Nous pouvons, certes, trouver de la matière première disponible dans les stocks d’invendus pour faire de l’upcycling mais puisque nous sommes capables d’identifier et de localiser les stocks, nous pouvons également aider toute la filière de donation. Nombre d’invendus sont de très bonne qualité et méritent d’être réutilisés comme tels. Nous aidons donc les associations de don à mieux faire le lien entre les producteurs et les consommateurs.

Olivier est le directeur de l'agence de Recherche Utilisateur & Stratégie Utilisateur Fast & Fresh. Spécialiste en comportement consommateur, il travaille avec le laboratoire de Psychologie de Montpellier 3 pour aider les marques à comprendre leurs utilisateurs et à construire de vraies relations de marques et d'entre-aide. Pas de neuromarketing chez Fast & Fresh, nous ne pensons pas que brutaliser vos utilisateurs pour vendre des produits soit la bonne solution.