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Les focus groups ne marchent pas

Focus groups : les biais qui bloquent vos résultats d’écoute client

Focus groups : les questions posées par nos clients chez Natixis au cours des sessions de formation à l’écoute client que nous dispensons

Notre équipe donnait récemment une série de formations à l’écoute client chez Natixis et parmi les questions posées par les auditeurs (recrutement des utilisateurs, tailles des échantillons, techniques de test…), les focus groups (ou groupes de discussion en français) se sont naturellement invités dans la conversation. En effet, les focus groups sont une méthode très répandue d’interviews clients, notamment dans les grands groupes, qui les utilisent pour réaliser de la user research ou bien des études marketing ou de tendances avec cet avantage perçu qu’il est possible lors d’un focus group d’interroger d’une traite, en parallèle, un panel entier de client : 5 ou 6 utilisateurs d’un coup.

Lors de cette formation, nous avons en face de nous des profils très différents : marketing, écoute client, communication, innovation, ventes… Mais tous viennent avec la même question, la question que se posent légitimement tous les décideurs : sommes-nous réellement à l’écoute de nos usagers ?

Et derrière cette question s’en cachent généralement plusieurs autres, plus angoissées : comprenons-nous réellement notre marché ? Utilisons-nous les bonnes méthodes ? Sommes-nous bien positionnés ? Les gens vont-ils continuer de nous aimer, nous et notre produit ? Pourquoi produisons-nous autant de données quantitatives (enquêtes en ligne, data mining…) et qualitatives (focus groups, tests à distance…) sans que cela nous permette jamais d’être vraiment sûrs de nous ?

Les questions qui fusent sont donc largement orientées sur l’aspect scientifique des différentes techniques : comment s’assurer que les focus groups, par exemple, relèvent bien des données valides et qu’il ne s’agit pas là juste d’une étude pour faire une étude ? Des résultats pour se rassurer mais qui n’ont aucune validité et qui, au final, seront une perte de temps.

Une salle de focus group
Une salle de focus groups pour mener de l’écoute client

Pourquoi les focus groups sont-ils si utilisés en entreprise ?

Lorsque les participants portent la conversation sur les focus groups, en tant que scientifique, mon métier consiste à dire la vérité. C’est à ça que sert la science : sortir de l’opinion pour considérer les faits sur la base des recherches menées par mes collègues dans le monde entier. C’est le célèbre « Call the bluff » de Carl Sagan : dire le vrai au-delà des opinions particulières. Nous avons le droit d’avoir nos propres opinions mais pas nos propres faits.

Scientifiquement, connaissant les recherches sur les groupes de discussion, je ne peux pas mentir, je n’ai pas le droit. La réponse est donc sans ambiguïté : si les focus groups « marchent » en entreprise, c’est d’abord parce que ça rassure les commanditaires et que ça fait vivre des agences mais ce n’est pas la méthode la plus scientifique qui soit et ce n’est jamais celle que nous conseillons en priorité aux clients à l’agence.

Petite illustration de ce que je veux dire par « ça fait vivre du monde » : il se trouve que le consultant d’une agence concurrente s’est « glissé » dans la formation que je dispense à Natixis. Il est visiblement venu faire la promotion de sa boutique. Toutes ses questions sont prétexte à vanter longuement, les mérites de la grande agence de conseil à laquelle il appartient avec des phrases commençant généralement par un nous de majesté : « Nous, chez XXX, nous faisons ceci, Nous chez XXX, nous faisons cela… ». Et le monsieur a l’air très énervé de ma réponse. Mais encore une fois, il a le droit d’avoir ses opinions mais il n’a pas droit à ses propres faits.

Si la recherche le contre-dit, malheureusement, je n’y peux rien. La recherche, elle, est publique et validée par les pairs et les institutions : c’est ce qui fait sa force face aux errements de l’opinion.

Pourquoi les focus groups sont-ils une technique biaisée ? Et pourquoi un modérateur, même talentueux, aura du mal à produire des résultats de qualité ?

D’un point de vue scientifique, parmi la longue liste de biais qui affecte les focus groups, on pourra citer :

  • L’effet Ringelmann : en gros, plus il y a de gens qui poussent une voiture qui ne veut pas démarrer, moins chaque individu pousse. C’est pareil dans les focus groups
  • Les effet Janis, Wallach, Moscovici : le groupe va trouver un consensus mais fortement polarisé, extrême
  • L’effet Asch : les individus en groupes vont, sous la pression sociale, accepter des jugements contraires au bon sens et à leur opinion personnelle
  • L’effet Sherif : les individus vont tous accepter les normes qu’ils ont construites via les effets Janis et Asch, les intérioriser et les respecter même si elles sont erronées
  • Les effets de Leadership : phénomène que connaissent bien tous les modérateurs, un ou deux individus « alpha » prennent le dessus sur le groupe et le polarisent
  • Et la liste est encore longue… on rappellera peut-être simplement que, non, un bon modérateur n’est pas capable de récupérer un protocole vérolé, aussi bon soit-il et que non, on ne peut pas demander à des utilisateurs d’inventer en 15 mn en fin de session le futur technologique d’une compagnie. Comment pourraient-ils y arriver alors que ce n’est pas leur métier et qu’ils n’y connaissent rien alors que nous et les clients, nous suons déjà à grosses gouttes pour y arriver. Le travail des consultants n’est pas de demander aux utilisateurs de faire leur métier à leur place en « pondant » de façon magique des idées d’innovation. Les utilisateurs ne peuvent faire qu’une chose : parler de ce qu’ils connaissent : leurs usages. Charge aux clients et aux consultants de prendre ensuite le relai pour construire quelque chose.

4 conseils pour dépasser les problèmes des groupes de discussion :

  • Arrêtez d’utiliser des techniques de test simplement parce que vous en avez l’habitude. L’habitude n’est pas un critère scientifique. Les gens qui lançaient la navette challenger avaient aussi l’habitude qu’elle décolle sans problème. En science, l’habitude n’est la garante de rien. Qu’avoir des données vous rassure, c’est une chose. Vous fier à n’importe quel résultat, c’en est une autre.
  • Sortez de votre zone de confort : vous savez bien que les techniques comme les focus groups ne vous rapportent que des la palissades et ne sont pas efficaces et pourtant, vous continuez de baser votre stratégie sur des données fausses.
  • Préférez les entretiens individuels aux protocoles de groupes. Le groupe est une catastrophe en termes de récupération de données.
  • Rapprochez-vous de scientifiques pour construire vos protocoles de test. La majorité des UX qui font de la recherche utilisateur aujourd’hui sont des graphistes, des maquettistes ou bien des techniciens. Prenons-le avec humour : vous ne demandez pas à votre boucher d’être votre cardiologue ? Il en va de même avec la recherche utilisateur : faites appel à des Psychologues, ce sont eux les spécialistes. Ils ont les bons outils, les bonnes méthodes et le bon background. Nous avons créé Fast & Fresh il y a 10 ans dans cette optique : faire de la vraie Recherche Utilisateur avec le laboratoire national de Psychologie de Montpellier.

Olivier est le directeur de l'agence de Recherche Utilisateur & Stratégie Utilisateur Fast & Fresh. Spécialiste en comportement consommateur, il travaille avec le laboratoire de Psychologie de Montpellier 3 pour aider les marques à comprendre leurs utilisateurs et à construire de vraies relations de marques et d'entre-aide. Pas de neuromarketing chez Fast & Fresh, nous ne pensons pas que brutaliser vos utilisateurs pour vendre des produits soit la bonne solution.