Les révolutions des usages
Les sciences humaines peuvent-elles éclairer l’histoire en marche ? Les révolutions des usages ? Prenons un sujet d’actualité : Uber & Air BnB. Si un nombre croissant de chroniqueurs parlent d’Uberisation de la société, rares sont ceux qui tentent une analyse profonde du phénomène dans un référentiel qui ne soit pas simplement économique.
Afin d’éclairer le sujet des révolutions des usages, nous allons utiliser un certains nombre de concepts issus de la Sociologie, de la Recherche Utilisateur et de l’UX. Nous allons notamment emprunter quelques idées à un sociologue brillant et mésestimé : Marx.
En finir avec les préjugés Marxistes :
- Si Marx était incontestablement un homme de gauche engagé dans les luttes ouvrières, il était avant tout un sociologue passionnant et un économiste brillant. Peut-être le meilleur de son époque. Et contrairement à la légende, Marx n’est pas le père du communisme au sens où on l’entend aujourd’hui.
- C’est bien là le paradoxe : l’essentiel de son oeuvre est en réalité une tentative de décrypter les rouages du capitalisme. En fait, ses théories sont si intéressantes qu’elles sont aujourd’hui étudiées de près par les économistes les plus pointus. Enfin, si Marx avait son avis sur comment éviter les débordement du capitalisme, force est de constater qu’ il n’a que peu à voir avec le destin posthume que ses théories ont pu connaître, notamment en ex-URSS.
La notion de révolution des usages chez Marx :
- Marx a développé un certain nombre de concepts essentiels à la sociologie moderne. Parmi lesquels on citera par exemple la notion de matérialisme historique, la structure des biais politiques ou encore la mécanique des changements et des révolutions.
- Ce que vous devez comprendre sur les révolutions : la thèse de Marx est relativement simple. Marx nous dit, la société n’est pas d’un bloc. Imaginer que nous sommes tous des frères et soeurs, réunis ensemble dans un même élan sous la bannière fédératrice d’une république une et indivisible est une douce chimère.
- Marx souligne adroitement que la société, loin d’être faite d’une même trame est d’avantage un patchwork d’intérêts différents. Les individus sont dissemblables et ils ont tous des envies divergentes.
- Chacun tente donc plus ou moins de tirer la couverture à soi. Du coup, au niveau social, les citoyens se réunissent en groupes d’intérêts qui chacun défend sa chapelle. Comme ces groupes sont rivaux et qu’ils tentent d’assurer la suprématie de leurs intérêts particuliers, ils se livrent dans le meilleur des cas à des négociations et à des tractations suivies et dans le pire des cas à des rixes violentes quand le simple rapport de force ne suffit plus. Ainsi, la gauche critique la droite, le patronat attaque les syndicats, les vieux n’aiment pas le bruit fait par les jeunes, les petites boutiques se défendent des grands centres commerciaux, Apple n’aime pas Microsoft et ainsi de suite.
- L’idée fondamentale de Marx est donc de dire : une révolution arrive quand un groupe « qui veut » s’attaque à un groupe « qui a ». En clair, quand des outsiders s’en prennent au monopole de l’establishment.
- Et cela s’applique au niveau politique aussi bien qu’au niveau plus concret d’une révolution des usages.
Comment une révolution des usages survient-elle ?
- Et bien, si vous faites l’inventaire des disruptions les plus importantes intervenues ces dernières années sur le marché, on se rend rapidement compte qu’elles relèvent de révolutions au sens Marxiste du terme. Air Bnb casse le monopole des hôtels, Uber casse le monopole des taxis, Free casse le monopole des opérateurs de téléphonie mobile historiques, Apple casse le monopole des constructeurs de mobiles, Google casse le monopole des annonceurs classiques.
- Pour clarifier le propos, l’ensemble de ces sociétés, plutôt que de se tourner vers des territoires vierges, crée de facto ses propres territoires vierges grâce à des putsch dans des zones jusque là verrouillées de façon critique par des sociétés ou des groupements corporatistes et monopolistiques.
Conclusion sur les révolutions des usages :
- L’une des conclusions que l’on peut tirer du modèle Marxiste est que les révolutions d’usages interviennent aussi lorsqu’on fournit aux utilisateurs une porte de sortie face à des compagnies ou des groupements monopolistiques qui jusque là étouffaient les possibilités. Les compagnies en quête d’innovation devraient donc s’intéresser en priorité aux endroits de la société où ce genre d’antagonismes et de frictions entre « utilisateurs frustrés » et « compagnies verrous » se manifestent.