Histoire des critères ergonomiques de Bastien & Scapin
Pour comprendre l’émergence des critères ergonomiques de Bastien & Scapin, revenons un peu en arrière : lorsque j’intègre le DESS d’ergonomie de Paris V au début des années 2000, le diplôme, dirigé par Jean-Claude Spérandio, est encore très largement tourné vers l’ergonomie physique : conception de produits, conception de postes de travail, conception de machines ou bien d’usines… Comme nous l’expliquions dans notre article sur la naissance de l’UX, nombre de mes professeurs travaillent alors sur des sujets pointus d’ergonomie industrielle comme la conception de tableaux de bord d’avions, la conception de nouveaux systèmes de tramway hybrides ou bien encore sur les lignes de production de grands groupes pharmaceutiques.
Parmi eux, Christian Bastien, l’un des pionniers du LEI (le laboratoire d’ergonomie informatique) est l’un des rares à traiter le sujet de la relation homme-machine sous un angle déjà très digital et qui annonce la déferlante informatique qui va suivre dans les années 2000.
Or, si aujourd’hui, une très grande quantité de blogs traite de problématiques ergonomiques et UX et proposent à foison des outils et des techniques pour se sortir de la panade, à l’époque, il existe finalement peu de ressources sur lesquelles s’appuyer pour construire des interfaces digitales. L’une des rares aides qui existe est alors une sorte de liste de diffusion par mail qui permettait de poser des questions et de faire circuler des offres d’emploi. On trouve aussi quelques sites de techniques mais qui sont assez généralistes et qui ne relèvent pas spécifiquement du digital.
Le travail de Bastien & Scapin, engagé sur la décennie précédente – les critères paraissent au début des années 90, est donc une tentative de fournir un outil souple, flexible et opérationnel aux designers d’interface. Une sorte de liste de critères, valide, à conserver toujours dans sa poche et qui permette rapidement aux concepteurs de détecter les erreurs ergonomiques les plus grossières lors de la conception d’interfaces utilisateurs.
A quoi servent les critères ergonomiques de Bastien & Scapin ?
En créant leur liste de critères ergonomiques, Bastien & Scapin tentent au fond de répondre à 2 questions :
- Première question : est-ce que toutes les interfaces ont les mêmes problèmes ou bien est-ce qu’elles présentent toutes des problèmes différents ? Par exemple, si vous prenez l’interface de Nike, l’interface du trésor public et l’interface d’un grand quotidien de presse français, est-ce que toutes ces interfaces présentent les mêmes problèmes ergonomiques ou bien est-ce que chaque type d’interface présente des problèmes différents et bien spécifiques ? Est-ce que les problèmes de ces différents services se recoupent, au moins en partie, ou bien est-ce qu’ils n’ont rien à voir ? Après tout, on peut imaginer que Nike ait des problèmes d’ergonomie qui soient complètement différents de ceux du journal le Monde. Ce ne sont pas les mêmes métiers, pas les mêmes informations… À cette question, les expériences de Bastien & Scapin répondent « oui » . Bastien & Scapin montrent que, quelle que soit l’interface, on retrouve systématiquement les mêmes grandes catégories de problèmes qui grèvent l’expérience ergonomique de l’utilisateur.
- Seconde question : est-ce que ces critères sont valides et utilisables ? En d’autres termes, un expert ayant en main la grille de critères ergonomiques de Bastien & Scapin va-t-il mener une expertise plus poussée que s’il ne l’avait pas ? Va-t-il détecter plus de problèmes ? Et si l’on place différents experts en face de la même interface vont-ils tous détecter les mêmes problèmes ? Et enfin, la grille va-t-elle les aider à formuler ces problèmes et à les organiser ? À cette question, les expériences de Bastien & Scapin répondent encore par l’affirmative.
Liste des critères ergonomiques de Bastien & Scapin : nous vous proposons une liste abrégée à télécharger et à conserver comme outil de travail
Au final, Bastien & Scapin produisent donc une grille de critères ergonomiques qui permet de repérer en un minimum de temps les erreurs les plus grossières commises lors du design d’une interface.
La grille originale comporte environ 17 critères, tous très importants et qui permettent au concepteur d’évaluer la qualité ergonomique d’une interface utilisateur :
- Incitation
- Groupement-Distinction
- Feedback immédiat
- Lisibilité
- Brièveté
- Concision
- Actions minimales
- Densité informationnelle
- Actions explicites
- Contrôle utilisateur
- Flexibilité
- Prise en compte de l’expérience
- Protection contre les erreurs
- Qualité des messages d’erreurs
- Correction des erreurs
- Homogénéité cohérence
- Signifiance des codes
- Compatibilité
À l’usage, certains critères s’avèrent souvent plus saillants ou plus « clefs » que d’autres, nous vous fournissons une liste abrégée
Avec la pratique, on se rend compte que certains critères sont plus fréquents ou plus saillants que d’autres et nous vous proposons ici une liste abrégée des critères à télécharger qui nous paraissent les plus décisifs.
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Limites de la grille et erreurs à éviter
Comme pour toute grille heuristique de critères ergonomiques, plusieurs erreurs sont à éviter :
- Première erreur : croire que la grille permet de relever tous les problèmes. Non, elle permet simplement d’aider à identifier les erreurs les plus grossières mais quelque fois, quand on a le nez engoncé dans sa création, on en est aveuglé et, grille de critères ou non, on peut passer à coté de problèmes flagrants. Si la grille permet de systématiser l’expertise, elle n’en garantit pas pour autant le résultat. D’ailleurs la grille de critères de Bastien & Scapin n’est pas la seule grille qui existe et vous pouvez nous contacter si vous avez besoin d’une expertise plus poussée.
- Second critère, en lien avec le premier : ne pas faire l’expertise soi-même. Certains concepteurs ont tendance à faire l’évaluation de leur interface par eux-mêmes. Non. C’est une erreur. C’est un tiers qui doit mener l’expertise, un tiers qui n’a pas maille à partir avec le projet. Sinon, l’expertise ne sera pas objective : vous allez voir ce que vous voulez bien voir mais sans esprit critique et sans capacité à redécouvrir votre interface de façon vierge. L’expertise ne marche bien que si l’expert a un oeil neuf.
- Enfin, la grille ne remplace pas un test utilisateur : si la grille de critères ergonomiques de Bastien & Scapin permet de détecter les erreurs d’ergonomie les plus graves dans une interface, elle n’en reste pas moins éloignée du terrain : quand nous utilisons une grille de critères, par définition, en tant que concepteurs, nous n’avons pas rencontré les utilisateurs et c’est donc toujours nous, concepteurs, qui disons le vrai sans les avoir consultés. Certes, la grille va permettre de passer au tamis les problèmes les plus courants de votre design mais, peut-être, au contact des utilisateurs auriez-vous découvert des dynamiques ou bien des logiques d’erreurs inattendues et que seul un test aurait pu révéler.