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Million Data Baby : un jeu pour comprendre ce qu’il advient de vos données personnelles et comment les protéger

« Les données personnelles sont un sujet à la fois ardu et complexe : nous voulions trouver une manière ludique de sensibiliser les clients et les étudiants à ces grands enjeux »

Olivier : bonjour Pierre, merci de nous accorder cette interview sur le sujet des données personnelles et de leur traitement. Pouvons-nous commencer par vous présenter ? Que les lecteurs puissent comprendre qui vous êtes, votre parcours et le contexte de votre démarche ?

Pierre : nous sommes trois designers, Guillaume Baptiste, Quentin Ledoux et moi-même Pierre Minelli. Cela fait des années que nous travaillons sur des projets impactant les grandes organisations et qui touchent donc, par voie de conséquence, un très grand nombre d’utilisateurs.

Dans ce cadre, les questions de données personnelles, de données sensibles, de RGPD et de protection de la vie privée des utilisateurs sont toujours des questions centrales.

Mais nous ne sommes pas que designers. Nous sommes également tous les trois enseignants depuis de nombreuses années et nous souhaitons que les prochaines générations s’emparent de ces grands enjeux du design que sont l’accessibilité, l’éthique et bien entendu la protection des données personnelles.

Nous avons donc décidé, tous les trois, de nous appuyer sur Donut Panic qui est une agence de design d’expérience responsable pour proposer une nouvelle manière, plus ludique, plus abordable, de sensibiliser les clients et les étudiants à ces sujets tout en s’amusant. Il s’git de les aider à prendre conscience de ces grands enjeux.

Mais nous ne voulons pas toucher que les designers et autres pro du digital mais aussi et surtout les personnes les plus éloignées de ces sujets.

« Tout est parti d’un atelier client durant lequel les participants jouaient les citoyens d’une société dystopique au sein de laquelle les échanges étaient régulés par un système crédit social comme celui en vigueur en Chine »

Olivier : comment vous est venue l’idée du projet ? Quelles ont été les premières étapes ?

Pierre : en 2019, nous avons eu l’occasion de nous retrouver tous les trois pour préparer un atelier de sensibilisation aux données personnelles. Nous avons décidé de propulser les participants dans un atelier dystopique, où les GAFAM ont pris le pouvoir et brandissent l’étendard du Crédit Social comme nouveau projet politique, centré sur la paix sociale.

Le Crédit Social, c’est un système de points que les citoyens gardent ou perdent en fonction de leurs comportements sociaux. Ce “capital” de points permet d’avoir accès à des privilèges, comme prendre le train ou l’avion. Et il ne s’agit pas que d’une idée fantaisiste : c’est un système qui est effectivement en vigueur aujourd’hui même en Chine.

Les participants de notre atelier étaient donc crédités d’un certain nombre de points. Puis des lois en faveur du partage des données personnelles étaient promulguées, ce qui impactait leur score et leur faisait perdre ou gagner des privilèges (comme avoir le droit d’être assis sur une chaise !).

Suite au succès de cet atelier, nous avons eu l’idée d’en faire un jeu de société pour sensibiliser un plus grand nombre de personnes.

C’est à partir de ce moment-là que nous sommes partis en quête d’une mécanique de jeu et d’une identité : chaque joueur évolue dans le contexte sans foi ni loi du business de la donnée, où tous les coups sont permis dans l’unique but de gagner le plus d’argent. Suite à un vote de la communauté Donut Panic, ce jeu a pris le nom de Million data_ Baby.

Après des soirées à décortiquer les affaires, les scandales et les procès autour des données personnelles, nous avons créé plusieurs mécaniques autour de 6 chapitres, où chacune des cartes relève d’un fait réel qui est directement consultable sur notre site www.milliondatababy.com

« Nous avons conçu le jeu pour qu’il soit jouable par tous les publics : il s’agissait de sensibiliser les non- experts du sujet. Quant aux pros : cela les aide à trouver des solutions concrètes aux problèmes des données personnelles lorsque nous réalisons des ateliers »

Olivier : comment vous servez-vous du jeu auprès des différents publics ?

Pierre : Million Data_ Baby a la volonté d’être diffusé au plus grand nombre et il est jouable de 10 à 99 ans. Il n’est pas nécessaire de travailler dans le digital ou au sein d’un projet web pour s’intéresser à la donnée personnelle et avoir envie de créer le nouveau réseau social à la mode, comme Plik Plok ou Amstramgram. N’importe qui peut jouer, c’est un jeu fun avant tout, même si le fait qu’il soit uniquement basé sur des faits réels en fait aussi un jeu de sensibilisation.

Parallèlement à ce jeu, nous avons mis en place des ateliers qui permettent aux participants de vivre une immersion dans un monde dystopique ou le Crédit social est de rigueur. Cela nous permet de poursuivre cet atelier par des échanges et des actions concrètes. Les participants sont des personnes de n’importe quelle entreprise, car toutes les entreprises traitent des données personnelles : ne serait-ce que pour recruter.

Le jeu et les ateliers sont deux choses qui peuvent vivre séparément ou bien se combiner.  Cela nous permet d’avoir une communication simple quel que soit l’utilisateur.

« Le jeu permet une réelle immersion dans l’univers des données personnelles et de leurs enjeux. Les joueurs s’identifient davantage. »

Olivier : pourquoi le format du jeu ? Après tout, d’autres approches étaient possibles.

Pierre : grâce au jeu, nous apportons aux participants une immersion totale dans un univers où ils vont devoir lutter contre la concurrence et pour le coup la concurrence est bien réelle puisqu’elle se situe autour de la table. 

Quand on joue dans un jeu de société, on s’identifie à des personnages, on s’approprie des rôles qu’on aurait jamais oser faire dans la vraie vie.

L’aspect convivial permet de rester léger sur un sujet qui ne l’est pas vraiment. 

On avait la problématique du « comment attirer sur un jeu pas facile à appréhender, qui demande du recul ». Le format jeu de société permet de mettre les pieds dans le plat et d’en éclabousser les joueurs et joueuses, peu importe leur niveau de connaissance sur le sujet.

Les personnes qui vivent une partie de Million data_ Baby vont déployer toutes les actions qui s’offrent à eux pour s’enrichir et gagner la partie, quitte à être les pires ordures que la terre ait portées !

Ils vont se retrouver à collecter illégalement les données personnelles d’enfants ou de prisonniers, pour les revendre au services de renseignement ou encore aux partis politiques. Dès lors qu’ils commencent à manipuler la justice ou à solliciter des lanceurs d’alerte, leur implication devient totale.

La prise de conscience peut arriver à n’importe quel moment durant la partie. Ce qui va les amener à réaliser que leurs actions peuvent avoir eu lieu dans la réalité. Elles ont même déjà eu lieu… comme le montrent tous les articles de presse que nous avons listés et qui sont en accès libre.

Au-delà de cette prise de conscience, le plaisir de faire des coups bas à ses adversaires et de s’enrichir pour gagner le jeu devient vite addictif ! 

« En plaçant le joueur dans la peau du chef d’entreprise, nous le mettons face aux dilemmes éthiques que posent le besoin de croissance »

Olivier : Est-ce qu’avec le jeu, on arrive à bien simuler les contraintes de cet environnement et les dilemmes que ces questions posent ? Quels sont-ils ? Comment se déroule le jeu ? Sa dynamique ?

Pierre : Million Data_ Baby Vous permet de prendre en main une start-up et de déployer votre application. À partir de là, vous devrez prendre toutes les décisions stratégiques qui vont augmenter la rentabilité de votre application en lien avec les données personnelles. 

Le joueur ou la joueuse commence à flirter avec l’éthique en utilisant des moyens de collecte et de revente de données personnelles tout à fait ignobles. Et il ou elle va aussi prendre conscience de la manière dont on peut accélérer la croissance de son application et aussi faire chuter la concurrence.

Toutes ces mécaniques s’inspirant naturellement de faits réels nous permettent de s’assurer que le réalisme du jeu n’est pas entaché.

À partir de ce moment-là, libre à chacun d’échanger, de partager sur son expérience et son ressenti pour accentuer la prise de conscience collective permettant à Million Data_ Baby de sensibiliser le plus grand nombre. 

« Le jeu est un marche-pied : le but est de pousser le joueur à se renseigner davantage »

Olivier :6 – Avec quelles connaissances et compétences le joueur va-t-il ressortir ? Qu’a-t-il besoin d’avoir compris / de savoir faire pour naviguer voire résister dans le monde de la donnée personnelle ?

Pierre : une fois l’expérience de jeu réalisée, chaque joueur pourra avoir conscience que les méthodes employées sont tout autant de risques de divulgation des données personnelles.

Dans l’idéal, le joueur sort en ayant compris que derrière la récolte de données personnelles se cachent des conséquences autant sur l’économie, que sur sa propre liberté. Si demain un joueur prend un peu plus le temps de lire ce qu’on lui dit quand il achète quelque chose sur internet ou quand il installe une application, c’est gagné. S’il est apte à faire ses propres choix ou au moins se poser la question de « pourquoi on me demande telle ou telle information ? ».

Il peut aller plus loin pour se renseigner sur notre site www.milliondatababy.com et découvrir l’entreprise ayant traînant ces casseroles. Libre à lui de continuer à utiliser ce service ou ce produit.

Parallèlement à cela, nous proposons au sein des règles de notre jeu différents acteurs pouvant accompagner les personnes souhaitant récupérer leurs données personnelles ou s’affranchir de leur utilisation, tel que :

« Million Data Baby permet d’explorer aussi bien les conséquences court -termes du pillage de données personnelles que les effets de bord plus généraux comme la déstabilisation des échiquiers politiques »

Olivier : ce type de jeux permettent-ils de faire réfléchir sur l’inanité des stratégies court-termes qui visent uniquement à voler de la donnée pour faire du profit mais qui sont dangereuses pour les marques à moyen et long terme ?

Pierre : les stratégies de collecte et de récolte des données personnelles restent effectivement très court-termistes. C’est à partir du moment où l’on cherche à accélérer sa croissance, par le biais de hacks, d’espionnage, de négociations ou même de manipulations judiciaires. 

Cela dit, on a aussi un aperçu sur des stratégies long terme comme l’impact sur une démocratie, sur la déstabilisation de l’échiquier politique, avec des reventes de données afin d’influencer des élections présidentielles. Il y en a pour tous les goûts !

Et on ne s’arrête pas là puisqu’il va être nécessaire aussi d’empêcher la concurrence de prospérer et ce grâce à l’utilisation de la justice, en ralliant des lanceurs d’alerte, des militants ou en recourant à la piraterie.

L’ensemble de ses actions permet aux joueurs de prendre conscience de l’impact et des répercussions que peuvent avoir l’ensemble des décisions qu’ils vont prendre. C’est ludique mais ce n’est pas tout à fait fictif, puisqu’encore une fois toutes mécanique et toutes cartes de ce jeu sont le reflet d’un fait réel. 

« L’idée du jeu est également de montrer qu’on peut toujours agir : ne rien faire c’est laisser faire. C’est en connaissant les sujets qu’on commence de trouver des solutions »

Olivier : Et après, sur le terrain ? La question que les élèves posent sur ces sujets est souvent la même : « oui, mais en vrai on ne peut rien faire, c’est trop compliqué, trop lointain, les firmes sont trop puissantes ». Que peut-on faire en dehors de la table de jeu ?

Pierre : il est toujours possible d’agir. Ne rien faire, c’est un positionnement en soi, ça veut dire qu’il donne raison aux agissements.

Dans un premier temps il est possible de faire des MOOC (comme le MOOC gratuit de la CNIL), d’assister à des ateliers, de se former sur le sujet.

Nous pouvons conseiller de se renseigner sur les lanceurs et lanceuses d’alerte, les militants, leurs actions, regarder « derrière nos écrans de fumées » ou « dopamine » ou le film sur Edward Snowden par exemple.

Nous rappelons que Aaron Swartz a créé les licences creative commons à l’âge de 15 ans et a toujours milité pour un web libre. Tout le monde peut agir à son échelle.

Que vous soyez product manager, product owner, UX designer, UI designer, délégué à la protection des données, développeur ou tout autre acteur d’un projet impliquant l’usage des données personnelles, il est temps de se renseigner et de se former.

Cet atelier RGPD est essentiel et aussi légalement obligatoire d’être mise en application pour tous les sites d’institutions publiques.

Concrètement, le site Données & Design par LINC de la CNIL est excellent pour tous les designers.

« Notre but est d’aider les acteurs de la donnée personnelle à éduquer les citoyens »

Olivier : que peut-on faire pour vous aider à lancer le jeu ?

Pierre : jusqu’au 30 juin, vous avez la possibilité de nous soutenir en finançant la campagne participative actuellement sur Ulule. Cela vous permettra de récupérer l’expérience originale avec cette toute première édition faite par Donut Panic.

Nous sommes d’ailleurs très fiers d’avoir obtenu le Prix du jury lors du tremplin Ulule Pitch Pitch du 14 juin. 

Par la suite, nous espérons bien faire connaître au plus grand nombre Million Data_ Baby à travers des concours et des salons dans le milieu du jeu de société.

Nous souhaitons aussi entrer en contact avec le maximum d’acteurs protégeant les données personnelles, qu’ils soient institutionnels, de l’univers du divertissement ou des personnes s’impliquant personnellement.

Pour cela, contactez-nous, Guillaume Baptiste, Quentin Ledoux et moi-même, Pierre Minelli, nous ferons un plaisir d’échanger avec vous.

Olivier est le directeur de l'agence de Recherche Utilisateur & Stratégie Utilisateur Fast & Fresh. Spécialiste en comportement consommateur, il travaille avec le laboratoire de Psychologie de Montpellier 3 pour aider les marques à comprendre leurs utilisateurs et à construire de vraies relations de marques et d'entre-aide. Pas de neuromarketing chez Fast & Fresh, nous ne pensons pas que brutaliser vos utilisateurs pour vendre des produits soit la bonne solution.